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Contrefaçon d’œuvres littéraires : quelles règles s’appliquent ?

  • le 8 février 2011

Deux affaires ont récemment secoué le monde littéraire et mis la lumière sur la contrefaçon dont peuvent être victimes ces œuvres. L’occasion de rappeler les règles applicables à la contrefaçon d’œuvres de l’esprit.

La protection des oeuvres

L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous (art. L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle). Sont considérés, notamment, comme œuvres de l’esprit, les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques (art. L112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle), dès lors qu’ils sont originaux ; l’originalité s’entendant comme le reflet de la personnalité du créateur.

De là, toute atteinte portée aux droits exclusifs dont jouit l’auteur constitue un acte de contrefaçon sanctionné par trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (art. L335-2 du Code de la Propriété Intellectuelle).

L’auteur se considérant victime de tels actes a le choix de porter son action, soit devant les juridictions répressives, soit devant les juridictions civiles, pour obtenir réparation du préjudice subi.

Il appartient alors au juge du fond de rechercher si, par leur composition ou leur expression, les scènes et dialogues des œuvres en présence comportent des ressemblances telles qu’elles doivent être analysées en actes de contrefaçon, engageant la responsabilité de l’auteur de la reprise.

Recherche de similitudes précises

La jurisprudence avait déjà eu l’occasion, avant l’affaire « PPDA » de se prononcer au sujet d’une biographie consacrée à Juliette Drouet . La Cour d’Appel de Paris a ainsi considéré comme une contrefaçon l’ouvrage biographique second, citant des phrases sélectionnées par les auteurs de la biographie initiale ou présentant le même choix de coupure, reprenant dans la quasi-totalité des cas, dans le même ordre, des extraits de journaux citant les personnages dans le même ordre, sans que celui-ci soit imposé par le déroulement du récit et reprenant le choix et l’énumération des villes, étapes du voyage de Victor Hugo, des procédés d’écriture et stylistiques.

Avant de condamner le contrefacteur à 30 000 euros de dommages et intérêts, sur le fondement du préjudice économique, et 15 000 euros, pour l’atteinte au droit moral de l’auteur de la première biographie, la cour a pris soin, de procéder par comparaisons, très précises, des phrases et séquences litigieuses, afin de souligner les similitudes existant entre les œuvres.

Il faut toutefois rappeler que les mots et expressions faisant partie du domaine public sont insusceptibles d’appropriation, leur reprise ne pouvant fonder une action en contrefaçon. Ainsi, selon la jurisprudence, l’auteur d’un lexique de termes cajuns, ne pouvait prétendre à un monopole sur les matériaux linguistiques ou culturels qu’il avait recensés, ni revendiquer de droits sur l’orthographe de certains des mots collectés .

Les juges, pour apprécier l’existence de la contrefaçon, se fondent sur les ressemblances, et non sur les différences entre les ouvrages concernés . Ils peuvent ainsi retenir la contrefaçon, après avoir relevé que les erreurs contenues dans l’œuvre originale se retrouvaient dans l’ouvrage incriminé .

Par ailleurs, en matière de contrefaçon, la bonne foi ne se présume pas et l’intention coupable est présumée dès que la matérialité des faits est établie. La charge de la preuve de sa bonne foi revient donc au contrefacteur.

Les deux affaires qui défrayent la chronique

Il s’agit, tout d’abord, de l’affaire Houellbecq, auquel on reprochait, dans son livre primé par le prix Goncourt 2010, « La carte et le territoire », d’avoir repris des textes figurant sur le site Wikipedia. Se fondant sur la licence libre « Créative Commons » sous laquelle sont placés les contenus Wikipédia, un internaute a publié, sur son blog, le texte intégral du best-seller , au nom de la logique des licences libres, selon laquelle la reproduction libre exige que la nouvelle publication soit, à son tour, sous licence « Créative Commons ».

L’éditeur de Houellebecq (Flammarion) a demandé le retrait immédiat de la publication en arguant de la violation du droit d’auteur. Il rappelle ainsi que le règlement Wikipedia, relatif à la licence libre « Créative Commons » ne prévoit l’application de cette dernière qu’au seul contributeur du site, et que cette règle ne pouvait s’étendre à son auteur qui s’était contenté de s’inspirer des articles de l’encyclopédie en ligne.

La deuxième affaire, plus classique dans sa présentation, est celle visant le journaliste Patrick Poivre d’Arvor auquel il est reproché d’avoir plagié, dans le cadre de la rédaction de sa biographie d’Ernest Hemingway, un texte publié par Peter Griffin, plus de vingt ans auparavant, et faisant apparaître d’étranges similitudes avec le manuscrit de l’ex-présentateur vedette.

Quels moyens d’action pour l’auteur « plagié » ?

L’auteur victime d’une contrefaçon dispose d’un arsenal assez complet d’actions et de répressions.

L’auteur d’un ouvrage victime d’une contrefaçon peut ainsi faire procéder à une saisie contrefaçon. La saisie concerne les exemplaires constituant une reproduction illicite de l’œuvre, mais également des recettes provenant de cette reproduction, représentation ou diffusion.

Il est également loisible à cet auteur de requérir de l’administration des douanes, sur demande écrite assortie de justifications de son droit, la mise en place de mesures de retenue douanière. Dans ce cas, il appartient au déclarant, sous peine d’une levée de plein droit de la mesure de retenue, de se pourvoir par la voie civile ou par la voie correctionnelle, dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la notification de la retenue douanière.

Depuis la loi du 29 octobre 2007, le juge a, en outre, le pouvoir d’ordonner la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer illicitement les éléments protégés, ainsi que de tout document s’y rapportant. L’autorisation de la saisie peut, toutefois, être conditionnée à la constitution préalable de garanties par le saisissant. Ce dernier doit, enfin, à peine de nullité de sa saisie, agir au fond dans un délai maximum de vingt jours ouvrables ou 31 jours civils, si ce dernier délai est plus long.

Sur le plan répressif, la victime d’actes de contrefaçon peut obtenir du tribunal la fermeture totale ou partielle, définitive ou temporaire, pour une durée au plus de cinq ans, de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction. Egalement, le retrait des circuits commerciaux, aux frais du condamné, des objets jugés contrefaisants et toute chose ayant servi ou destinée à commettre l’infraction, de même que la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par l’infraction, ou encore l’affichage ou la diffusion du jugement prononçant la condamnation.

L’autre mission d’Hadopi

Enfin, depuis la loi du 28 octobre 2009, les auteurs d’acte de contrefaçon commis au moyen d’un service de communication au public en ligne peuvent également être condamnés à une peine complémentaire de suspension de l’accès à Internet, pour une durée maximale d’un an, assortie de l’interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature, auprès de tout opérateur. Cette peine doit être portée à la connaissance de l’Hadopi, qui la notifie au fournisseur d’accès à Internet du condamné. Cette mission de l’Hadopi s’ajoute aux nouvelles missions qui lui ont été confiées dans le domaine du téléchargement illicite.

Par Blandine POIDEVIN et V.GELLES, avocats

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