Droit du travail : (...)

Droit du travail : vers une réforme sans effet économique ?

L’ancien directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, a remis, le 9 septembre, son rapport sur la réforme du droit du travail, qui préconise de privilégier la négociation au niveau des branches et des entreprises.

Ces dernières semaines, les rapports et essais consacrés à la réforme du droit du travail se sont multipliés. Ainsi, il y eut d’abord le livre de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen,en juin, dans lequel les auteurs se sont prononcés pour une cure d’amaigrissement d’un Code du travail perçu comme obscur et hostile à l’emploi. Puis, plus récemment, Terra Nova, le think tank proche du PS, a pris une position proche du très libéral Institut Montaigne, préconisant de permettre aux entreprises de déroger au Code du travail par accord collectif, notamment sur la question du Smic ou des indemnités de licenciement. Et, dernier en date, le rapport Combrexelle…

Une plus grande marge de manœuvre pour les entreprises

Le groupe de travail, présidé par Jean-Denis Combrexelle, s’était vu confier en avril dernier, par le Premier ministre, une mission de réflexion sur les différents moyens « d’élargir la place de l’accord collectif dans notre droit du travail et la construction des normes sociales ». Son rapport, remis le 9 septembre, comporte ainsi 44 propositions, basées sur l’idée maîtresse d’une inversion de la hiérarchie des normes déjà entamée depuis 2007.

Tout d’abord, il préconise un élargissement du champ de négociation des règles applicables en matière de temps de travail, de salaires, d’emploi et de conditions de travail ; de plus, il propose de laisser à la négociation tout ce qui ne figurerait pas dans un socle de principes fondamentaux communs à tous les salariés et définis notamment par la loi ; en outre, les entreprises négocieraient pour quatre ans maximum des accords majoritaires avec les syndicats ; enfin, les accords de branche seraient privilégiés, d’où une fusion de celles représentant moins de 5 000 salariés, afin d’arriver à une centaine de branches en 2018, contre 700 aujourd’hui (hors agriculture). Au surplus, le rapport suggère de soumettre le seuil de déclenchement des heures supplémentaires à la négociation entre les entreprises et leurs syndicats, ce qui reviendrait de facto à enterrer la loi sur les 35 heures.

Quoi qu’il en soit, le nombre important de petites entreprises qui n’ont pas de syndicat et la piètre qualité des négociations entre partenaires sociaux n’incitent guère à l’optimisme. D’autant qu’à bien y regarder, le rapport s’appuie bien plus sur les accords de branche que d’entreprise.

Un diagnostic économique contestable

En parcourant tous ces rapports, essais et notes, on relève le même diagnostic : le Code du travail serait trop complexe, trop protecteur, et nuirait ainsi à l’emploi et à l’efficacité économique. La préconisation est par conséquent, à quelques variantes près, toujours de simplifier le Code du travail, limiter la protection des salariés et privilégier les négociations au niveau de l’entreprise, lorsque c’est possible. Pour le dire autrement, l’hypothèse est qu’une législation trop protectrice de l’emploi serait au fond défavorable à l’emploi lui-même et créerait du chômage.

Or, aucune étude économique ne permet de tirer avec certitude une telle conclusion. D’ailleurs, dans un rapport de 2003 pour le Conseil d’Analyse Économique (CAE), le prix Nobel d’économie, Jean Tirole, et l’ancien économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), Olivier Blanchard, avaient conclu à la quasi absence empirique de corrélation entre protection de l’emploi et taux de chômage.

Et pour répondre au problème du chômage, loin de réclamer une plus grande flexibilité, ils préconisaient, rien de moins, que de taxer les entreprises qui licencient, afin de les forcer à internaliser dans leurs calculs les coûts pour la société d’un licenciement (indemnisation des chômeurs, perte de capital humain, coûts psychologiques pour le chômeur, etc.) !

Le FMI contre le FMI sur cette question ?

Au niveau international, en avril 2015, les équipes de recherche du FMI ont étudié les effets de plusieurs réformes structurelles – dont le changement de réglementation du travail – sur la croissance potentielle, au travers de la productivité globale des facteurs. Leurs conclusions sont que la flexibilisation et la déréglementation du marché du travail n’ont aucun effet sur la croissance potentielle à moyen terme, et même un effet négatif, à court terme ! L’institution de Washington s’est donc retrouvée en contradiction avec ses propres préconisations, mais Christine Lagarde, sa directrice générale, a très vite fait paraître un communiqué pour expliquer que les travaux des chercheurs n’engagent pas le FMI…

Photo de Une : Jean-Denis Combrexelle

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