La paix, un possible (...)

La paix, un possible objectif pour les juristes de droit des affaires ?

Cette possibilité peut sembler insolite, si l’on se réfère à l’âpreté de certaines relations d’affaires. La question a pourtant été posée – et fort brillamment traitée – dans un colloque organisé à Aix en Provence en octobre 2014 sous la direction du professeur Jacques Mestre et dont les actes, qui viennent d’être publiés (LG- DJ-Lextenso, janvier 2016, 398 p., 56 €), feront référence.
S’il n’y avait qu’un auteur pour songer à évoquer ainsi le centenaire de la « Grande guerre » (avec une référence implicite à Jean Jaurès ?) par un approfondis- sement des conditions et des inté- rêts de la paix dans le domaine des relations d’affaires, ce serait bien Jacques Mestre. Des générations d’étudiants en droit et désormais de juristes ont appris, dans ses colonnes à la Revue trimestrielle de droit civil, la fécondité des articles 1134 al.3 et 1135 du Code civil et leur supériorité sur une lecture formaliste du trop célèbre article 1134 al.1er. Les conventions obligent certes à ce qui y exprimé, mais aussi aux exigences de la bonne foi et aux suites que leur donne la nature des choses. Cette fécondité pratique s’ex- prime dans l’intérêt commun des parties, donc dans l’intérêt de la paix dans l’ordre juridique.
Il suffisait – façon de parler – d’étendre la démarche à l’ensemble du droit des affaires. Le praticien découvrira dans cet ouvrage bien des aspects inatten- dus du droit positif, et souvent prometteurs. Tentons l’exercice, certes périlleux, d’en rendre compte en partant du plus classique pour finir par le plus inattendu (ce qui ne veut pas dire le moins important).

Une approche nuancée
En droit des obligations, le professeur Yves Picot envisage le droit au respect de la loi contractuelle confronté aux déloyautés et déséquilibres économiques sous l’angle de l’approche nuancée du droit commun, mais aussi avec l’approche combative du droit du marché. Le professeur Bertrand Fages se demande si la paix peut être l’objet d’ingénierie contractuelle, c’est à dire faire l’objet d’un contrat ou d’une clause, et Madame Isabelle Ar- naud-Grossi, si la paix peut être l’objet d’ingénierie sociétaire, dans le sens de la prévention et de la gestion avisée des conflits (puisse la chambre commerciale de la Cour de cassation être inspirée par l’intérêt de la paix entre les parties lorsqu’elle statue sur l’interprétation de l’article 1843- 4 du Code civil !). Mme Nancy Tagliarino-Vignal observe dans quelle mesure le traitement d’une entreprise en difficulté peut s’ins- pirer d’un objectif de paix : un beau programme, évidemment partiel mais précieux.

Passant du droit à l’exercice de l’action, le professeur Emmanuel Putman envisage les instruments d’une « paix processuelle » par-de- là l’égoïsme procédural, le profes- seur Jean Devèze examine en quoi le juge peut être un « facilitateur » de paix en droit des affaires, et le professeur Van Dai Do propose de considérer que l’amiable composition est une voie à privilégier dans l’arbitrage. On l’approuvera sans réserve, dès lors qu’en tout état de cause l’amiable compositeur doit : 1°/ respecter les principes de la procédure arbitrale ; 2°/ respecter au fond les principes d’ordre public ; 3°/ mettre en œuvre la volonté commune réelle des par- ties aux dépens, s’il y a lieu, des lacunes ou maladresses du contrat qui en est la mise en oeuvre. Plus généralement le tribunal arbitral, à la différence (a priori) du juge judiciaire, se préoccupe moins de la contribution de sa décision à une construction de l’ordre juri- dique que de la définition d’une solution juste mais si possible utile à l’avenir des entreprises en la cause : what else qu’une paix en droit des affaires ? Mme Catherine Poli expose en quoi la médiation est une technique juridique au service de la paix en droit des affaires.

Satellites et drônes
Fondé sur la technique c’est aussi au delà de la technique que le droit économique prend la paix en compte. Le professeur Béatrice Parence en définit les sujets, spécialement les peuples autochtones et les générations futures ; belle prospective, où l’objectif de développement durable est un vecteur de réconciliation de la pensée économique avec la protection de l’environnement à travers cette notion de générations futures. Le professeur Michel Buy place aussi le droit de la protection sociale dans une problématique de la solidarité entre les générations et entre les peuples (parfait si l’on veut comprendre quelque chose aux déficits des régimes sociaux ...). Le professeur Laure Ravillon en revoit l’objet, en plaçant les satellites et les drones au cœur de la réflexion et s’interroge sur l’encadrement juridique des biens spatiaux et aériens. Le professeur Grégoire Bakandeja wa Mpungu envisage la concurrence des droits sur les ressources minières et plaide pour leur « sécurisation ».
Finalité ou moyens ? Le professeur Marie-Eve Pancrazi s’interroge sur la problématique des relations entre pouvoir et corrup- tion, corruption « marchande » et corruption « de proximité », et le professeur Hélène Aubry voit la paix une source de responsabilité sociale et de droits pour les entreprises et propose une déclaration des droits et devoirs des entreprises (à quand une Cour européenne des droits de l’entreprise ... ?). Le professeur Jean-Christophe Roda observe que la concurrence est un facteur de guerre entre les entreprises aussi bien qu’une promesse de paix pour le plus grand nombre. Au titre d’études plus « instrumentales », le professeur Domi- nique Velardocchio révèle que la paix peut irriguer la propriété industrielle, par un usage paisible et la coexistence avec l’innovation collaborative ou « frugale » et Mme Laure Merland envisage les relations de la paix avec le droit d’auteur. Pour sa part, le profes- seur Olivier Debat se demande si la fiscalité peut promouvoir la paix ; pourquoi pas ? On y découvre que la « compliance fiscale » est une idée nouvelle à dévelop- per. Soit.

L’imagination du juriste
Last but not least, le professeur Jacques Mestre traite de la redoutable question d’un droit à la nourriture face aux marchés spéculatifs et aux acquisitions internationales de terres agricoles. « L’imagination est essentielle au juriste », dit-il ; elle le serait à moins lorsqu’il nous est rappelé qu’un tiers des enfants des pays en développement sont en insuffisance pondérale ou en retard de croissance ou que plus de 800 millions de personnes souffrent de faim chronique, ou bien lorsque l’on apprend que les acquisitions internationales de terres agricoles portent sur des dizaines de millions d’hectares (parmi lesquelles, combien sont acquises par les intérêts off shore dont l’origine des fonds peut s’avérer inavouée ou pire, inavouable ?). Interdire ? Irréaliste. Laisser faire ? Inapproprié. D’où l’idée de recommandations intégrées dans des accords d’investissement transparents négociés avec la participation des populations locales.

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