Le nerf de la guerre (...)

Le nerf de la guerre - par Maitre Benjamin Ollié

Les parties civiles ont témoigné à la barre de la cour d’assises spécialement composée de Paris ces dernières semaines. L’occasion pour celles-ci de faire entendre certains griefs récurrents au détour du récit de leur douleur.

Me Ollié ©S.G

Par Me Benjamin Ollié

Maître Benjamin OLLIE a prêté serment le 14 janvier 2020. Il exerce au barreau de Nice. Son cabinet est situé au 6 Place des Cigalusa à NICE.
Représentant Jeune Barreau UJA NICE.
Me Ollié est l’un des plus jeunes avocats à participer au procès. Il représente une trentaine de parties civiles. Il s’exprime sur le procès dans les colonnes de notre journal.

La question du chemin de croix administratif rencontré par les victimes, la douleur des autopsies faites de façon systématique, celle du prélèvement des organes des personnes sont autant de thématiques évoquées de façon récurrente lors des prises de paroles.
C’est également le cas des relations avec le fond de garantie et des accedits d’expertise, systématiquement dénoncés par ceux qui les ont subis. L’occasion alors de s’interroger sur le traitement des enjeux économiques de ce procès hors-norme dans toutes ses composantes.
S’agissant du processus indemnitaire, le concept d’un fond dédié à l’indemnisation des préjudices nés de l’attentat est excellent dans son essence. Malheureusement, les exposés des victimes esquissent l’idée que la mise en action de cette institution est guidée par une logique d’économie qui prédomine sur l’appréciation réelle de leur situation.
Tant les limites arbitraires fixées par le fond quant à la recevabilité, qui du reste ont volé en éclat à la suite des décisions jurisprudentielles récentes, que l’appréhension de l’état de santé des victimes lors des expertises, unanimement dénoncées comme froides et calculées, sont des marqueurs de la logique des coûts qui semblent museler la procédure d’indemnisation.
Ce n’est pas l’ouverture du procès le 5 septembre qui allait atténuer cette impression. Après une première sortie médiatique le 30 août 2022 en ce sens, le PNAT (parquet national antiterroriste) pour sa première prise de parole intervenait pour indiquer sa conception restrictive de la recevabilité des constitutions de partie civile.
En s’exprimant de la sorte le ministère (du Trésor) Public a laissé la sensation à l’ensemble des parties concernées qu’il était moins soucieux d’établir la culpabilité des accusés que de restreindre l’accès au statut de partie civile aux victimes de l’attentat.
Cette politique parcimonieuse égratigne également le suivi du procès. Les mécanismes de défraiement présentés en amont du procès semblaient de prime abord particulièrement bien élaborés et avaient été éprouvés lors du procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Il a pourtant été décidé que le défraiement des parties civiles constituées après l’instruction, c’est-à-dire la majorité d’entre-elles, n’interviendrait qu’à l’issue du procès, au mois de décembre 2022 ou de janvier 2023.
Cette décision visiblement dictée par une logique de rationalisation des dépenses publiques a occasionné de grandes difficultés à certaines parties civiles.
C’est notamment le cas de certaines personnes qui avaient émis le souhait de témoigner à la barre et qui ont dû se résoudre à renoncer, compte-tenu des dépenses qu’elles avaient exposées pour assister à la première quinzaine du procès à Paris dont elles n’avaient pas été remboursées.

"L’effroi des chiffres plane sur le procès"

Reste la question épineuse de la rémunération des avocats de partie civile qui suscite fantasmes et spéculations, aussi bien pour le grand public que chez leurs confrères.
La réponse se trouve pourtant dans le décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 relatif à l’aide juridictionnelle, lequel fixe précisément les sommes prévues au titre de l’aide juridictionnelle des avocats assistant des parties civiles devant une cour d’assises. Point de mécanisme dérogatoire ici. Il s’agit bien du barème de droit commun, fixant à 38 UV* l’intervention de l’avocat et prévoyant 8 UV par demi-journée supplémentaire pour le seul premier dossier, les autres faisant l’objet d’une décote.

Ce même barème qui est d’ailleurs sans cesse critiqué (à juste titre) par l’ensemble des professionnels de justice pour l’insuffisance de ses rétributions.
La chancellerie veille scrupuleusement à ce que chaque demi-journée réclamée par les conseils soit une demi-journée de présence effective à l’audience. La mise en place d’un pointage obligatoire à l’entrée et à la sortie de la salle des débats fait ressembler les auxiliaires de justice à des personnages de Charlie
Chaplin.

Pour autant, le même zèle n’est pas de rigueur s’agissant du règlement de ces sommes. À ce jour, aucun des 130 avocats de partie civile n’a perçu le moindre euro, près de 40 jours après le début du procès, ce alors qu’une mensualisation permettant de tenir le rythme des charges était annoncée.
Entendons-nous, il ne s’agit surement pas de soutenir l’idée d’une rémunération de conseils constitués mais dont le siège à l’audience est vacant. Il est seulement question d’illustrer ici l’esprit général qui semble guider la prise de décision de ceux en charge de l’appréciation économique d’un drame historique.

Il est regrettable que l’effroi des chiffres plane sur un procès devant faire la lumière sur un attentat ayant couté la vie de 86 personnes, ayant fait 458 blessés physiques, commis dans un lieu qui rassemblait près de 25 000 personnes. Au détriment de l’humain peut être.

*UV : Unité de Valeur dont le montant est fixé chaque année par la loi de finances. Actuellement, il est de 36 € HT.

Photo de Une : des parties civiles entrent à la salle de retransmission au Palais Acropolis à Nice DR S.G

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