
Les notaires proposent 15 pistes pour adapter le droit de la famille aux réalités contemporaines
- Par Service Rédaction --
- le 9 septembre 2025
Montpellier accueillera du 24 au 26 septembre le 121e Congrès des notaires de France, placé sous la présidence de Me Jean Gaste. Plus de 3 000 notaires et professionnels du droit y débattront d’un thème central : l’évolution du droit de la famille.
Chaque année, cette rencontre est l’occasion pour la profession de confronter ses pratiques et de soumettre aux pouvoirs publics des propositions de réforme. Pour cette édition, les commissions de travail ont élaboré quinze mesures visant à moderniser la législation afin de mieux répondre aux mutations sociales et familiales.
Ces propositions s’articulent autour de trois temps de la vie familiale — la naissance, la vie et le décès — et s’accompagnent d’une réflexion transversale sur la place du beau-parent. Elles visent notamment à :
- adapter le droit aux nouvelles formes de conjugalité et de parentalité ;
– renforcer la sécurité juridique des proches ;
– simplifier les procédures pour prévenir les conflits.
Certaines mesures portent sur des points techniques du Code civil (indivision dans le Pacs, clarification des charges du mariage en séparation de biens, modernisation de la liquidation de la participation aux acquêts), tandis que d’autres introduisent des innovations plus structurantes, comme la création d’une déclaration notariée de beau-parentalité ou encore la suppression de la réserve héréditaire du conjoint survivant.
Ces orientations traduisent un double objectif : garantir davantage de liberté contractuelle aux familles, tout en sécurisant la transmission du patrimoine et la continuité de la gouvernance d’entreprises familiales.
À l’issue des débats, les propositions seront soumises au vote des notaires de France. Si elles sont adoptées, elles pourront être transmises aux pouvoirs publics pour nourrir le débat législatif.
Les propositions
Commission 1 : La naissance de la famille
RÉAMÉNAGER LE RÉGIME DE L’INDIVISION DANS LE PACS
Dans leur Pacs (204 061 conclus en 2023), les partenaires délaissent largement le régime de l’indivision des acquêts lui préférant celui de la séparation des biens. Jugé obscure et incomplète, l’indivision est également rarement conseillée par les notaires alors même qu’elle offre des garanties de partage et de protection pour les partenaires les plus vulnérables.
Le 121e Congrès propose de réformer le régime d’indivision spéciale pacsimoniale en complétant les articles 515-5-1 et 515-5-2 du Code civil, afin d’en clarifier le périmètre, de sécuriser ses effets et d’imposer l’acte notarié pour toute convention qui y recourt.
DYNAMISER LE RÉGIME DE COMMUNAUTÉ PAR UNE PLUS GRANDE LIBERTÉ D’AMÉNAGEMENT CONTRACTUEL
Dans l’institution du mariage, si les Français demeurent attachés aux valeurs de solidarité et de protection incarnées par la communauté, ils expriment aussi une volonté croissante d’indépendance patrimoniale. Près d’un sur deux ignore encore l’existence des différents régimes matrimoniaux et, face aux préoccupations de protéger les biens professionnels, souvent propres à l’un des conjoints, les notaires orientent de plus en plus souvent vers la séparation de biens, au détriment de la communauté conventionnelle.
Le 121e Congrès propose de compléter l’article 1497 du Code civil qui l’organise afin de permettre aux époux un régime de communauté conventionnelle sur-mesure et d’exclure certains biens notamment professionnels.
DÉFINIR LA CONTRIBUTION AUX CHARGES DU MARIAGE EN SÉPARATION DE BIENS
Un sujet sensible. Bien que le régime de séparation de biens repose sur l’indépendance patrimoniale, nombre d’époux l’aménagent en pratique de façon associative, en acquérant ensemble le logement familial ou en mélangeant leurs avoirs. Lors du divorce, ces situations entraînent un contentieux abondant, souvent alimenté par le sentiment d’injustice de l’époux ayant contribué davantage aux dépenses communes.
Le 121e Congrès propose de clarifier la contribution aux charges du mariage en créant un alinéa à l’article 1537 du Code civil, afin de distinguer les dépenses relevant de l’obligation conjugale de celles constituant un financement personnel, et ainsi renforcer l’équité et réduire les litiges.
PROTÉGER SON ENFANT EN CAS D’EMPÊCHEMENT DE L’EXERCICE DE L’AUTORITÉ PARENTALE
Un sujet délicat et fondamental : la protection de l’enfant mineur. La désignation d’un tuteur pour un enfant mineur en cas d’empêchement des parents d’exercer leur autorité reste juridiquement insuffisante. Seule l’intervention du juge aux affaires familiales permet de nommer un tuteur, privant les parents de la possibilité d’anticiper et de choisir eux-mêmes la personne de confiance qui prendra soin de leur enfant.
Le 121e Congrès propose de modifier les articles 403 et 404 du Code civil pour permettre aux parents, ensemble ou séparément, de désigner par avance un tuteur pour leur enfant mineur, non seulement en cas de décès, mais aussi en cas d’empêchement d’exercer l’autorité parentale.
Commission 2 : La vie de la famille
SIMPLIFIER LA PROCÉDURE DE CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL
La procédure actuelle de changement de régime matrimonial est lourde. Elle nécessite notamment une double information auprès des enfants et des créanciers leur ouvrant un droit d’opposition. Or, en pratique, les oppositions comme les refus d’homologation sont rarissimes, ce qui rend cette formalité coûteuse et peu justifiée car la protection des enfants et des tiers est déjà assurée par d’autres mécanismes (action en retranchement, action paulienne).
Le 121e Congrès propose de supprimer la faculté d’opposition des enfants et des créanciers afin de fluidifier la procédure, tout en maintenant un devoir d’information et la protection offerte par les recours existants.
FIXER LES PRÉROGATIVES DE L’USUFRUITIER ET DU NU-PROPRIÉTAIRE SUR LES DROITS SOCIAUX
La multiplication des SCI, SARL et SAS au sein des familles entraîne de plus en plus souvent le démembrement de droits sociaux (c’est à dire, la séparation du droit de percevoir les revenus des parts sociales du droit de posséder ces parts), à la suite d’un décès ou d’une transmission. Or, l’absence de régime légal clair en la matière génère une forte insécurité juridique et fiscale, alimentant un contentieux nourri sur la répartition des droits entre usufruitier (droit aux revenus) et nu-propriétaire (droit de propriété).
Le 121e Congrès propose d’insérer dans le Code civil un corps de règles fixant les droits respectifs de l’usufruitier et du nu-propriétaire de droits sociaux, afin de sécuriser la pratique notariale et de limiter les conflits.
DIVERSIFIER L’OFFRE PATRIMONIALE PROPOSEE AUX FUTURS EPOUX PAR LA MODERNISATION DE LA LIQUIDATION DU REGIME DE PARTICIPATION AUX ACQUETS
Soixante ans après son introduction, le régime de la participation aux acquêts (chacun garde ses biens mais partage l’enrichissement pendant le mariage) reste marginal : il représente moins de 1 % des contrats de mariage. Complexe et mal connu, il est rarement conseillé par les notaires, malgré ses atouts d’équilibre entre séparation et communauté. Deux règles en particulier alimentent incompréhension et injustices : l’évaluation des biens à une date trop tardive et une prescription abrégée de trois ans.
Le 121e Congrès propose de moderniser la liquidation de la participation aux acquêts en fixant l’évaluation des biens à la date de dissolution du régime et en alignant la prescription sur le délai quinquennal de droit commun.
MODERNISER L’HYPOTHÈQUE LÉGALE DU PRÊTEUR DE DENIERS AFIN DE FACILITER LES FINANCEMENTS DES OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES FAMILIALES
Les opérations immobilières familiales mêlant ventes et partages posent des difficultés de qualification juridique aux banques. Par manque de compréhension et recherche de sécurité, celles-ci privilégient l’hypothèque conventionnelle, plus coûteuse en raison de la taxe de publicité foncière, ce qui renchérit le crédit et complique le dénouement d’opérations souvent sensibles.
Le 121e Congrès propose de moderniser l’hypothèque légale du prêteur de deniers afin qu’elle puisse garantir indifféremment ventes et partages, simplifiant ainsi les financements et réduisant le recours à l’hypothèque conventionnelle.
FACILITER LES SORTIES DE CRISE FAMILIALE ET SURMONTER LES BLOCAGES RENCONTRES DANS LE PARTAGE JUDICIAIRE
En 2023, plus de 10 700 recours auprès de la justice par des héritiers ou des ex-époux ne s’accordant pas (partage judiciaire) ont été enregistrés, avec un délai moyen de traitement de près de 26 mois. Cette procédure, dernier recours en cas d’échec d’un règlement amiable, souffre de lourdeurs, d’un manque de clarté des textes et de blocages fréquents liés à la défaillance d’indivisaires (personnes partageant des droits) ou au défaut de coopération dans la communication des preuves.
Le 121e Congrès propose de réformer la procédure de partage judiciaire pour en accélérer le déroulement, en renforçant les pouvoirs du notaire commis, l’obligation de loyauté des parties et la sécurité juridique de la mission notariale.
Commission 3 : Le décès au sein de la famille
SUPPRIMER LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE DU CONJOINT SURVIVANT
(Le conjoint non divorcé, déshérité en tout ou partie)
Créée en 2001 et maintenue en 2006, la réserve du conjoint survivant est un droit récent, qui lui garantit un quart en pleine propriété en l’absence de descendance. Ce droit discriminant, parfois illogique est difficile à justifier quand il fragilise la réserve des descendants et peut conduire à des situations paradoxales, comme encourager le divorce pour contourner ses effets.
Le 121e Congrès propose la suppression pure et simple de la réserve héréditaire du conjoint survivant, par l’abrogation de l’article 914-1 du Code civil.
SUPPRIMER DES DROITS DE RETOUR LÉGAUX
Le bien donné à un enfant revient au parent si l’enfant meurt sans descendance. Ce droit de retour légal instauré en 2001 (au profit des frères et sœurs) et en 2006 (au profit des père et mère) créent des « successions anomales », sources d’incertitudes et de contentieux. Il manque son objectif de conservation des biens dans la famille, entraîne des indivisions complexes et soulève des difficultés d’interprétation, notamment quant à leur articulation avec le conjoint survivant ou le droit de retour conventionnel.
Le 121e Congrès propose de supprimer les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du Code civil, et de les remplacer par une créance alimentaire au profit des ascendants privilégiés, afin de simplifier les successions et sécuriser les transmissions.
CRÉER UN PACTE DE FAMILLE DE GEL DES VALEURS
Alors qu’on héritait en moyenne à 30 ans en 1920, on hérite aujourd’hui bien souvent à l’approche de la retraite. Si la donation-partage permet de « geler » la valeur des biens transmis pour sécuriser l’équilibre successoral, son champ reste limité. Les autres outils (donation simple, rapport forfaitaire) laissent subsister des difficultés et des contentieux potentiels.
Le 121e Congrès propose suggère de créer un accord de famille pour figer la valeur des biens au moment de leur transmission afin de sécuriser les transmissions et d’éviter les réévaluations sources de conflits successoraux.
CONSACRER UNE GÉRANCE SUCCESSIVE
(Passage de la direction d’une entreprise)
Le décès d’un dirigeant de société peut plonger l’entreprise dans le chaos, en privant immédiatement la structure de toute gouvernance opérationnelle et en déclenchant parfois des conflits successoraux. Bien que la pratique de la « dévolution de gérance » permette d’anticiper la succession du dirigeant dans les statuts, son application reste fragile et juridiquement incertaine.
Le 121e Congrès propose de consacrer légalement le passage de la direction (ou « dévolution de gérance ») dans les SCI, SARL, SNC et SAS, afin de sécuriser la continuité de la gouvernance et de protéger entreprises et salariés.
DROIT AUX DIVIDENDES DES HÉRITIERS ET AYANTS DROIT EN ATTENTE D’AGRÉMENT
Les statuts de société civile peuvent stipuler que la transmission des parts sociales par décès est soumise à l’agrément permettant aux associés de choisir les continuateurs du projet sociétaire. Dans les sociétés civiles dont les statuts comportent une clause d’agrément en cas de décès, les héritiers de l’associé décédé n’ont actuellement aucun droit sur les dividendes distribués avant leur agrément éventuel. Cette situation peut les priver de la valeur patrimoniale attachée aux parts sociales, créant un déséquilibre au profit des associés survivants.
Le 121e Congrès propose de consacrer le droit des héritiers en attente d’agrément à percevoir les dividendes distribués entre le décès et la décision d’agrément, afin de rétablir l’équité patrimoniale.
Proposition commune
DÉCLARATION DE BEAU-PARENTALITÉ
Près de 1,5 million d’enfants vivent aujourd’hui en France dans des familles recomposées. Le beau-parent occupe une place croissante, entre simple tiers et « parent social », mais son rôle demeure juridiquement fragile. L’adoption, souvent inadaptée, reste le seul outil de reconnaissance de ce lien électif.
Le 121e Congrès propose de créer une déclaration de beau-parentalité notariée, facultative, permettant de formaliser ce lien et de lui donner des effets juridiques, notamment en matière successorale et patrimoniale.