Me Benjamin Ollié : (...)

Me Benjamin Ollié : Un verdict à la fois "parfait" et "juste"

Le jeune avocat pénaliste niçois, membre du collectif 1407, revient sur sa participation au procès de l’attentat commis à Nice et sur le verdict, rendu le mardi 13 décembre.

Qu’avez-vous pensé du verdict de la cour d’assises spéciale de Paris ?

- Je vais faire une réponse en deux parties : sur la culpabilité et sur la peine. S’agissant de la culpabilité, je l’ai trouvé parfait. Les réquisitions avaient déjà très bien orienté les qualifications juridiques, avec en réalité deux AMT (association de malfaiteurs terroriste) et non trois. La cour a bien su retranscrire l’enjeu et les débats juridiques posés et je pense que la réponse donnée est adéquate. S’agissant de la peine, douze ans pour Ramzi Arefa, cela me paraît très juste. Et pour Chokri Chafroud et Mohamed Ghraieb, (18 ans), cela me paraît approprié.
Je pense que la cour a voulu montrer qu’elle n’était pas là pour rendre une décision populaire, qui plairait à tous. Monsieur le président Raviot l’a dit : la cour a l’intime conviction que Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait associé M. Chokri Chafroud et M. Mohamed Ghraieb à son projet terroriste. Cette peine au-dessus des réquisitions est la démonstration de cette intime conviction.

Que peut-il se passer désormais alors que les avocats de Mohamed Ghraieb ont déjà fait part de leur intention de faire appel ?

- Vu la motivation de la cour, je ne serais pas étonné qu’il y ait deux appels, de M. Chafroud et de M. Ghraieb. Cela paraitrait cohérent par rapport à leur ligne de défense. Et étant donné qu’ils encourraient 20 ans, finalement il n’y aurait pas grand-chose à perdre. Si l’appel est formalisé, ce sera compliqué pour les victimes. À titre personnel, je considère presque cela comme une première mi-temps. Mais c’est orgueilleux de dire cela alors qu’on n’a pas encore terminé la partie recevabilité.

Où en est-on d’un éventuel procès sur la sécurité, réclamé par de nombreuses parties civiles ?

- L’instruction est en cours. À titre personnel, je ne suis pas encore constitué dedans et je ne suis pas sûr de m’y constituer parce que mes clients, pour la plupart, ne sont pas penchés spécifiquement sur ce problème-là.

Le procès qui vient de se terminer a-t-il été utile ?

- À mon sens, cela a été non seulement utile mais indispensable. Cela a permis à beaucoup de victimes de se rappeler leur vécu. J’ai une cliente qui fait "l’autruche" depuis l’attentat. Elle a la tête dans le guidon dans le boulot. Elle ne s’est pas manifestée auparavant et là elle se manifeste. Beaucoup se sont réveillés comme cela, en disant : je veux être reconnu en tant que victime. Pas forcément pour une indemnisation. En ce sens-là, c’est indispensable. Cela a été salvateur pour beaucoup d’autres victimes. Parler à la famille, à un psychiatre ou parler à une juridiction, cela n’a rien à voir. Et le fait d’être entendu par cette cour qui en plus était particulièrement attentive, particulièrement dédiée à son procès, je pense que cela en a libéré énormément à la barre. La cour, dans son ensemble, a été pour moi la constante ‘qualité’ de ce procès.

Quels moments du procès vous ont marqué ?

- Avant même le procès, cela a été la première réunion du pôle pénal du groupe 1407. C’était le saut du plongeoir. Le deuxième élément, c’était cette première journée d’audience où l’on s’est tous succédé à la barre en énonçant une litanie de victimes et en intervenant après un parquet qui nous avait indiqué être très réservé et mesuré sur la recevabilité des parties civiles. Cela a été une première claque.
Les cinq semaines de témoignages de parties civiles ont été particulièrement éprouvantes. Émotionnellement, cela a été beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. En dépit de la robe, qui fait quand même tampon entre le vécu traumatique et ce qu’on ressent. Mais il y a une part de cette robe qui s’imbibe de cette douleur et de ses larmes. Certains témoignages m’ont bouleversé. La vidéo a également été un élément déterminant. Je pense qu’on ne peut pas juger d’une association de malfaiteurs terroriste sans qu’on ait l’idée de la réalité de l’acte terroriste qui a été accompli.
Ce qui m’a également beaucoup marqué ce sont les premiers interrogatoires des accusés.
Enfin, il y a cette expérience de plaidoiries coordonnées. L’objectif était d’éviter la redondance, la lassitude de la cour. L’organisation a été intéressante à travailler sur le fond et je trouve que le ressenti a été excellent. Tout le monde a bien tenu son rang. J’ai aussi entendu des choses qui ne m’ont pas plu dans certaines plaidoiries et je n’ai pas hésité à le dire, notamment de confrères parisiens. Un ou deux ont plaidé en disant : mes clients ne pensent pas que ceux qui sont derrière le box soient coupables. Une affirmation comme celle-là, si elle n’est pas suivie de retrait de constitution de partie civile, elle est malhonnête. Il y avait une espèce d’hypocrisie et cela m’a un peu dérangé.

Propos recueillis par Sébastien GUINÉ

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Photo de Une : Me Ollié à son retour de Paris jeudi 15 décembre ©S.G

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