Nature : Difficile de s’en partager l’usage
- Par Jean-Michel Chevalier --
- le 6 novembre 2024
Concilier l’inconciliable, c’est-à-dire à la fois la libre circulation des personnes et des animaux dans la nature et la protection de la propriété privée : tel était l’ambitieux objectif de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter ‘l’engrillagement’ des espaces naturels.
Une pratique qui s’est fortement développée sur certains territoires comme la Sologne, située à une heure et demie de route au sud de Paris. Si ses landes, forêts et étangs ont toujours attiré les promeneurs, les chasseurs et les braconniers, la pose de clôtures est devenue quasi systématique autour des immenses propriétés. Elle agace les populations locales qui ne peuvent plus se balader librement comme autrefois, en particulier à l’automne pour la cueillette des champignons.
Dans son infinie sagesse (!) le législateur a donc prévu des garde-fous pour rendre désormais impossibles les excès déjà constatés. Les nouveaux grillages doivent être posés à 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur est limitée à 1,20 mètre, ils ne peuvent constituer des pièges pour les animaux. Pour les anciennes barrières, les propriétaires doivent se mettre en conformité d’ici 2027. Il y en aurait… 4 000 kilomètres dans cette seule région à peine grande comme un département, dont quantité de tronçons totalement ‘étanches’…
Des trous dans ‘l’engrillagement’
La loi apporte donc un réel progrès par rapport à la situation antérieure. Pourtant, elle est loin de faire l’unanimité parmi les amoureux des sous-bois car elle ne concerne pas les ‘engrillagements’ réalisés avant 1993. Autant dire que beaucoup passent « à travers » les mailles du filet. Les détracteurs pointent aussi les exceptions qui dénaturent l’esprit du texte, comme les clôtures des parcs d’entraînement, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse, celles construites dans un cadre scientifique ou revêtant un caractère historique et patrimonial, celles montées autour des parcelles cultivées. Que les habitations et sièges d’exploitation d’activités agricoles ou forestières situés en milieu naturel puissent encore être entourés d’une clôture défrise les promeneurs et les anti-chasse, même si leur implantation est soumise à une (simple) déclaration dans le règlement du plan local d’urbanisme... quand il existe.
Si le législateur a entendu les plaintes du terrain, il a aussi pris soin de protéger la propriété privée. D’ailleurs, les lobbys se sont mis à l’affût pour « éclairer » les parlementaires sur les enjeux, suggérant des amendements vidant la loi de ses dispositions les plus contraignantes. Les propriétaires et exploitants opposés au texte ont bien déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) mais la juridiction supérieure vient de valider cette loi (décision n° 2024-1109 QPC du 18 octobre 2024) car elle protège l’environnement, la faune en particulier, rétablit la continuité écologique, élément de biodiversité qui doit permettre aux animaux de circuler librement dans la nature. « Il faut stopper le ball-trap sur le gibier en forêt de Sologne » avait déclaré en mai Christophe Béchu, alors ministre de la Transition écologique, choqué par des pratiques de chasse discutables dans des enclos où le gibier est prisonnier.
Dans les Alpes-Maritimes aussi
Il n’y a pas de panneaux dans la nature pour indiquer les ‘frontières’ entre les forêts publiques, appartenant aux communes ou à l’État, et les forêts privées. Les usages ont la vie dure - le fameux coin à champignons - mais les propriétaires disposent désormais de moyens pour se défendre contre les ‘intrusions’. La loi de février 2023 permet d’interdire l’entrée aux promeneurs, cyclistes, cavaliers et autres VTT par la pose de simples panneaux « Propriété privée » comme c’est le cas depuis quelques mois à Villeneuve-Loubet où 700 hectares sont désormais totalement privatisés par un propriétaire. Les contrevenants s’exposent à une amende de quatrième classe pouvant être dressée par un garde assermenté.
De quoi ‘pimenter’ le plat de sanguins…