Quelle est la valeur (...)

Quelle est la valeur d’une clause d’arbitrage insérée dans un projet de contrat non signé ?

À première vue, on supposera volontiers que poser cette question c’est y répondre ; comment une clause non signée dans un rédactionnel de contrat demeuré à l‘état de projet pourrait-elle obliger les parties à recourir à l’arbitrage ? Et pourtant, la Cour de cassation décide le contraire. Voici un arrêt (Cass.civ.1, 21 septembre 2016) qui mérite attention et enseigne pour la pratique la vertu de prudence à cet égard.

Par Maître Dominique VIDAL, Agrégé des facultés de Droit, Avocat honoraire, Arbitre commercial

Négligeons les détails de l’espèce pour retenir que selon la cour d’appel (1), «  la clause d’arbitrage n’a jamais été discutée ou envisagée entre les parties tout au long des années 2004 et 2005, que sa présence dans l’accord du 4 février 2005 est entièrement nouvelle, que l’absence de signature de cet accord caractérise incontestablement une absence de volonté des parties de recourir à l’arbitrage, ce qui exclut la saisine de l’arbitre en l’absence de tout engagement contractuel ».

Cette décision est cependant censurée car « en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire stipulée dans l’accord en procédant à un examen substantiel et approfondi des négociations contractuelles entre les parties pour conclure à leur absence d’engagement, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La surprise est saisissante. La Cour de cassation adopte cependant un raisonnement parfaitement balisé par le droit de l‘arbitrage.
L’article 1448 du code de procédure civile dispose que lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction d’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Ce texte reprend et formalise une jurisprudence constante(2) sur ce que la doctrine désigne comme le principe de « compétence-compétence » ; il en résulte que le tribunal arbitral est seul compétent sur sa propre compétence, sauf dans les cas de nullité manifeste ou d’inapplicabilité manifeste de la clause.

Il est toujours utile de rappeler qu’en tout état de cause le résultat du mécanisme mis en œuvre par le principe de compétence-compétence restera conforme au droit. En effet, premier cas, le tribunal arbitral se déclare compétent. S’il le fait à juste titre, la sentence ne sera pas annulée, du moins du chef de la compétence, le défendeur n’aura pas pu utiliser la voie dilatoire d’une contestation judiciaire a priori et l’arbitrage aura conservé son efficacité. S’il le fait à tort, sa sentence sera annulée de ce chef. Lorsque le tribunal arbitral se déclare incompétent, s’il le fait à juste titre, c’est conformément au droit que le tribunal judiciaire pourra connaitre au fond de l’affaire. S’il le fait à tort, la sentence d’incompétence sera annulée sur le recours exercé par la partie qui en est insatisfaite, et la compétence reviendra au tribunal arbitral.

En définitive, non seulement l’exigence de légalité est en tout cas satisfaite mais en outre, l’arbitrage répond aux attentes légitimes des parties qui sont de voir régler leur différend au fond dans un délai raisonnablement diligent et d’éviter le comportement dilatoire consistant à éluder la compétence arbitrale par le biais d’une contestation judiciaire a priori de la compétence arbitrale.
Mais le principe est écarté là où disparait sa raison d’être, c’est-à-dire lorsque la clause d’arbitrage est « manifestement nulle » ou bien « manifestement inapplicable ». Et la Cour de cassation décide ici que ce sont les deux seules exceptions à l’application du principe de « compétence-compétence » : le fait de la clause figure à un projet de contrat non signé ne permet pas d’entrer dans l’une de ces deux hypothèses.

Il est vrai que les principes d’interprétation en la matière ne font l’objet d’aucune hésitation, encore moins de controverse. On doit privilégier la prise en compte de la volonté réelle commune générale des parties de compromettre, aux dépens des avatars résultant de l’inadéquation ou de la maladresse de rédaction de la clause(3). De manière plus précise, on considère(4) que l’interprétation jurisprudentielle de la notion de nullité ou d’inapplicabilité manifeste demeure très restrictive. En particulier(5), l’inapplicabilité manifeste ne peut résulter que du constat, exclusif de toute interprétation ou de toute analyse substantielle des faits, que le litige ne peut, à l’évidence, entrer dans le champ d’application de la convention d’arbitrage en cause. En dernier lieu, l’ouvrage du professeur Jean-Baptiste Racine(6) confirme qu’il faut que la nullité ou l’inapplicabilité de la convention soit évidente au prix d’un simple examen sommaire en précisant – pertinemment – que nous sommes bien dans une application de la théorie de l’apparence : la convention d’arbitrage, dès lors qu’elle est invoquée, est apparemment efficace. Tel est bien le sens de la jurisprudence observée, dont la logique sans faille conduit le plus souvent – si ce n’est presque toujours - à rejeter l’exception d’inapplicabilité manifeste(7).

On est bien sur le terrain de l’apparence, principe général du droit parfaitement reconnu. Mais fermer la voie judiciaire au motif d’un projet de clause d’arbitrage est à notre avis excessif, et n’est pas de nature à rassurer la pratique sur le confort technique de ce type de règlement des litiges, encore moins à l‘encourager à y recourir. C’est peut-être dommage. En tout cas, il enseigne la plus exquise prudence à cet égard dans les opérations précontractuelles.


1- Aix en Provence, 5 novembre 2015, n°14/24336
2- D.Vidal, « Droit français de l’arbitrage interne et international », Gualino, 2012, n° 81 s., n°554 s.
3- Dominique Vidal, « Droit français de l’arbitrage interne et international », Gualino, 2012, n°140, p.66.
4- Christophe Séraglini et Jérôme Ortscheidt, « Droit de l’arbitrage interne et international », Montchrestien, 2013, n°168, p. 190 (en arbitrage interne) et n°680, p.600 (en arbitrage international).
5- Idem
6- Jean-Baptiste Racine, « Droit de l’arbitrage », PUF, Themis droit, septembre 2016, n°364, p.271
7- Jean-Baptiste Racine, « Droit de l’arbitrage » précité, n°370, p.274.

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