Brandt liquidé en France

Brandt liquidé en France : la fin d’un fleuron et les zones d’ombre d’un groupe à cheval entre Paris et Alger

Le tribunal des affaires économiques de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de Brandt France, entraînant la suppression de 700 emplois. Si l’événement marque un nouveau recul du “Made in France”, il soulève aussi des questions sur la trajectoire d’un groupe contrôlé depuis 2014 par le conglomérat algérien Cevital, dont les investissements massifs et l’expansion industrielle se sont concentrés… de l’autre côté de la Méditerranée.

Un choc industriel majeur en France

La décision est tombée : Brandt France, entreprise centenaire de gros électroménager, est placée en liquidation judiciaire, sans poursuite d’activité.
Les deux usines françaises, situées près de Vendôme (Loir-et-Cher) et d’Orléans (Loiret), cessent leur activité. Le groupe employait près de 700 salariés sur le territoire, auxquels s’ajoutent le siège des Hauts-de-Seine et un centre de service après-vente en région parisienne.

Pour les élus locaux, c’est un « renoncement » et un « coup très dur » porté à l’industrie française, malgré un soutien financier massif, près de 20 millions d’euros d’engagements publics, destiné à sauver l’outil de production.

L’échec de la Scop : dernière chance avortée

Face à l’absence d’offres industrielles, les salariés avaient construit un projet de Scop (coopérative) visant à sauver environ la moitié des emplois.
Mais le tribunal a jugé l’initiative trop incertaine pour garantir la reprise.
Un verdict vécu comme « un gâchis monumental » par les représentants du personnel, qui avaient fondé de réels espoirs sur la mobilisation des collectivités territoriales.

Les raisons profondes : une érosion lente du gros électroménager français

La liquidation de Brandt ne s’explique pas seulement par des difficultés conjoncturelles. Le secteur du gros électroménager est l’un des plus exposés à la concurrence mondiale, en particulier asiatique.

Selon les industriels du GIFAM, l’Europe affronte désormais une montée en puissance des produits fabriqués à bas coût, quand la France peine à maintenir une production locale capable de rivaliser sur les prix, les volumes et l’innovation.

La disparition de Brandt France rejoint ainsi les faillites récentes de Caddie ou Fagor, et s’inscrit dans une tendance de fond : la contraction continue de l’industrie des biens durables sur le territoire européen.

Un groupe bicéphale : crise en France, expansion en Algérie

Si Brandt disparaît en France, la marque connaît pourtant une dynamique tout à fait différente… en Algérie.

Racheté en 2014 par le groupe algérien Cevital, Brandt a servi de pivot à une stratégie ambitieuse : construire en Algérie un complexe industriel capable de produire des appareils électroménagers de dernière génération, avec une visée export.

Les déclarations officielles de 2014 et 2017 annonçaient clairement l’objectif :
« Produire et exporter vers l’Europe », avec l’appui d’un méga-site de plus de 100 hectares à Sétif.

Plus de 3 milliards d’investissements cumulés, en Algérie, Brandt représente désormais plus de 4 000 salariés,
un taux d’intégration locale élevé, plusieurs lignes de production (lave-linge, lave-vaisselle, réfrigérateurs, téléviseurs, composants techniques), des exportations significatives depuis 2018, notamment vers l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.

Les projets successifs du groupe annonçaient un investissement total dépassant les 3.6 milliards d’euros pour développer ce pôle industriel, soit un effort financier sans commune mesure avec les activités françaises.

Une trajectoire à deux vitesses

En Algérie : croissance, financement massif, développement technologique.
En France : pertes chroniques, manque de repreneur, fragilité financière, dépendance à l’endettement.
La question se pose naturellement : le centre de gravité du groupe ne s’était-il pas déjà déplacé hors de France ?

Relations franco-algériennes : un contexte qui interroge

La liquidation intervient dans une période où les relations diplomatiques entre Paris et Alger connaissent une détérioration notable.
Si aucune preuve d’un lien direct n’existe, plusieurs observateurs économiques s’interrogent sur un possible impact indirect :

  • accès plus difficile au financement bancaire,
  • prudence accrue des partenaires industriels européens,
  • crispations institutionnelles autour d’un groupe perçu comme emblématique de l’industrie algérienne,
  • moindre appétence pour un soutien public massif dans un contexte géopolitique instable.

Ces éléments ne constituent pas une explication unique, mais ils éclairent un écosystème complexe dans lequel évoluait Brandt France.

Des marques qui survivent, mais un savoir-faire qui disparaît

Le portefeuille de marques, que ce soient : Brandt, Vedette, Sauter, De Dietrich suscitera très probablement des offres ciblées. Leur valeur reste significative.

Mais la question demeure : ces marques continueront-elles à être associées à une production française ?
Rien ne le garantit désormais.

Derrière l’émotion suscitée par la disparition de Brandt France, c’est tout un pan de patrimoine industriel hexagonal qui s’efface, ainsi qu’une know-how historique lié à l’électroménager de haute intégration.

En toile de fond : le débat sur la réindustrialisation française

La liquidation de Brandt pose crûment la question de la place de la France dans les chaînes de valeur industrielles :

  • Comment maintenir des productions capitalistiques face à la concurrence asiatique ?
  • Quels outils juridiques et financiers pour assurer des reprises industrielles crédibles ?
  • Comment articuler souveraineté industrielle et relations internationales ?
  • Que signifie une « stratégie de réindustrialisation » si des acteurs historiques disparaissent sans alternative ?

Brandt devient ainsi le cas d’école d’un dilemme français :
notre volonté politique de réindustrialiser peut-elle réellement compenser les forces économiques mondiales à l’œuvre ?

La disparition de Brandt France ne se résume pas à une faillite : elle illustre les tensions entre politiques publiques, stratégies industrielles globalisées, relations diplomatiques et compétitivité mondiale.

Pendant que les usines françaises s’éteignent, les complexes algériens du groupe s’étendent.
Le paradoxe est révélateur : le nom Brandt survivra probablement, mais son ancrage industriel en France, lui, disparaît.

Pour les territoires concernés, pour l’industrie nationale et pour les observateurs du dialogue franco-algérien, ce dossier marque un tournant, et appelle une réflexion urgente sur la manière dont la France entend défendre ses filières industrielles dans un monde profondément reconfiguré.