Chanson connue : les (...)

Chanson connue : les crimes anonymes n’engagent personne

Comprenons-nous bien : je n’ai pas de sympathie particulière pour Bertrand Cantat. Et je fais même partie de ceux qui pensent que le chanteur devrait aujourd’hui faire preuve de retenue et de discrétion, ne serait-ce que par égard pour la famille de Marie Trintignant, tombée sous ses coups.
Mais les images de la foule haineuse qui crie sur son passage à chacun de ses concerts me gêne terriblement.
"Les crimes anonymes n’engagent personne", écrivait Balzac. Ces gens, qui conspuent et crachent sur l’ancien leader de Noir Désir, constituent effectivement une masse anonyme qui vient déverser son émotion, choquée qu’il puisse remonter sur scène. La famille de la victime, qui serait plus légitime pour exposer sa colère, a quant à elle toujours fait preuve de retenue et de dignité malgré sa douleur d’avoir perdu dans des conditions atroces une jeune femme qui souriait à la vie. Sans doute préférerait-elle aujourd’hui que Cantat se fasse oublier...
Le réseaux sociaux entretiennent le buzz autour de cette affaire en pistant les déplacements de Cantat, en favorisant l’organisation de comités d’accueil. C’est la version 2.0 de la chasse aux sorcières, et c’est dangereux. Il est trop facile de publier n’importe quoi, de véhiculer des idéologies nauséabondes qui passent sans aucun filtre sur les écrans connectés qui censurent pourtant des photos au nom des bonnes mœurs : l’inculture crasse des modérateurs a ainsi enlevé récemment - avant de la rétablir - une photo de la Vénus de Willendorf, figurine de 30 000 ans, chef-d’œuvre de l’art paléolithique...
C’est une nouvelle forme de manipulation qui se met doucement en place. Une manipulation "anonyme", puisque c’est à la fois tout le monde et personne qui se trouve à la manœuvre. C’est vous et moi qui partageons avec nos "amis numériques" nos coups de cœur, nos coups de gueule, notre colère mauvaise conseillère.
Avec Cantat, le terrain est propice : c’est un chanteur charismatique, demi-dieu devenu demi-diable. Que des fans s’attachent à sa personne n’a rien d’étonnant. Les disques, la télé, le show-biz ont créé entre le public et lui une proximité virtuelle qui explique ces réactions anonymes d’amour ou de haine, proches de l’hystérie.
Vu du Droit, après trois ans et demi effectifs derrière les barreaux, Cantat a payé sa dette. Il se trouve maintenant face à sa conscience et à l’opinion publique. Les réactions suscitées par son retour font peur. Elles rappellent d’autres époques sinistres, lorsque la foule rendait une justice anonyme et expéditive, en brûlant les hérétiques ou en tondant des femmes.

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