Impôt plancher : justice

Impôt plancher : justice fiscale ou porte ouverte à l’expropriation économique ?

La proposition de loi dite "Taxe Zucman" sur l’instauration d’un impôt plancher de 2 % pour les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros promet de rapporter jusqu’à 25 milliards d’euros par an à l’État.
Si l’objectif de justice fiscale séduit, certains alertent sur un risque inédit : l’ouverture d’une brèche qui pourrait, demain, concerner des milliers de dirigeants d’entreprises, voire la classe moyenne patrimoniale.

Un impôt présenté comme « minimum de justice »

L’idée semble simple : faire en sorte que les détenteurs des plus grandes fortunes contribuent au moins 2 % de leur patrimoine chaque année à la solidarité nationale.
La proposition de loi n° 1579, actuellement en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, ne vise qu’une poignée de foyers : environ 1 800 ménages en France dont le patrimoine dépasse 100 M€.

L’assiette serait large : immobilier, actions cotées ou non, parts de sociétés, trusts, biens détenus à l’étranger… tous les actifs seraient pris en compte.
Si l’impôt sur le revenu, l’IFI et les prélèvements sociaux ne suffisent pas à atteindre ce plancher de 2 %, un complément serait dû.

Les auteurs du texte avancent un chiffre impressionnant : 15 à 25 milliards d’euros de recettes supplémentaires par an, une manne bienvenue dans un contexte de déficit budgétaire.

Les arguments en faveur de la réforme

Pour ses promoteurs, cette mesure est d’abord une question d’équité.
Comment accepter que certaines des plus grandes fortunes de France, parfois grâce à des montages sophistiqués, affichent un taux d’imposition effectif inférieur à celui d’un cadre supérieur ou d’un artisan ?

L’impôt plancher fermerait ces brèches et garantirait une contribution minimale, renforçant la légitimité de l’effort collectif. Les sommes collectées pourraient financer des politiques publiques prioritaires : hôpitaux, éducation, transition écologique.

Les inquiétudes montent chez les dirigeants

Mais derrière l’apparente simplicité se cachent des effets secondaires redoutés. De nombreux économistes et organisations patronales s’alarment : comment paieront ceux dont la fortune est “illiquide” ?

Prenons l’exemple d’un chef d’entreprise possédant 90 % de son patrimoine en actions de sa société. Si ces titres ne génèrent pas de dividendes ou ne peuvent pas être facilement vendus, il devra trouver du cash pour s’acquitter de la note – quitte à céder des parts.

Ce scénario n’est pas anodin : il pourrait entraîner une perte de majorité, une fragilisation de la gouvernance, voire la vente de l’entreprise à un fonds ou à un concurrent. Certains parlent déjà d’une forme d’expropriation économique indirecte.

Une mesure réservée aux ultra-riches… pour combien de temps ?

Le texte actuel cible les patrimoines supérieurs à 100 M€. Mais rien n’empêcherait un futur gouvernement d’abaisser ce seuil.
Aujourd’hui réservée à quelques milliers de foyers, la mesure pourrait demain concerner :

 Des dirigeants de PME valorisées à quelques millions
 Des professions libérales ayant accumulé un patrimoine professionnel important
 Des cadres supérieurs propriétaires de leur résidence principale et de placements financiers.

Ce glissement possible soulève une question plus large : jusqu’où peut-on taxer le patrimoine sans décourager l’initiative privée ?

Trouver un compromis avant le vote final

Plusieurs amendements sont déjà sur la table :

 Allonger la durée d’échelonnement du paiement au-delà de 5 ans
 Différer l’impôt jusqu’à un événement de liquidité (cession, introduction en bourse, succession)
 Autoriser un paiement partiel en titres pour éviter les ventes forcées sur le marché.

Ces garde-fous visent à éviter un effet contre-productif : décourager ceux qui investissent, créent des emplois et contribuent à la réindustrialisation du pays.

Cette loi pourrait marquer un tournant historique  : faire de la détention patrimoniale une source d’imposition indépendante des revenus réels.
Si l’intention de justice fiscale est louable, le risque de dilution forcée et d’atteinte à la propriété privée mérite un débat démocratique large.

Car si la brèche est ouverte pour les ultra-riches aujourd’hui, qui peut garantir qu’elle ne s’élargira pas demain aux entrepreneurs de la classe moyenne ?