Indemnités Prud'homales

Indemnités Prud’homales de Macron à El Khomri

  • le 16 mars 2016

La détermination du montant de la réparation allouée par la juridiction prud’homale au salarié voyant son licenciement reconnu sans cause réelle et sérieuse suscite l’attrait du législateur depuis plusieurs mois. Actuellement, l’unique référence objective quant à la détermination du montant de cette indemnité figure à l’article L.1235-3 du Code du travail : le salarié qui compte au moins deux ans d’ancienneté peut prétendre à une indemnité équivalente « aux salaires des six derniers mois » en cas de reconnaissance du caractère abusif de son licenciement.

M. Macron, dans la loi n°2015- 990 du 6 août 2015, a tenté de réviser cet article en plafonnant le montant de l’indemnité al- louéeencasdelicenciementsans cause réelle et sérieuse. Son barème a été censuré par le Conseil Constitutionnel (1). Celui pen- sé par Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social résistera-t-il à la pression des syndicats et du parti socialiste (2) ?

1. de la censure du plafonnement inscrit dans la loi macron ...
L’article 266 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015 instaurait un barème encadrant l’indemnité pour li- cenciement sans cause réelle et sérieuse, par un « montant plancher » et par un « montant plafond ». La valeur de ces mini- ma et maxima variaient en fonction de deux paramètres : d’une part, l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et, d’autre part, l’effectif de l’entreprise.

Le Conseil Constitutionnel dans sa décision n°2015-715 du 5 août 2015 a invalidé ce dispositif au motif que le critère lié à la taille de l’entreprise était contraire au principe constitutionnel d‘égalité devant la loi. Les Sages rappelaient alors l’objet de la loi - assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l’emploi -, de sorte que les critères retenus dans la mise en œuvre du dispositif examiné devaient nécessairement présen- ter un lien avec le préjudice subi par le salarié, préjudice objet de la réparation.

Or, si le critère de l’ancienneté répondait à cette exigence, il n’en était pas de même de celui des effectifs, totalement déconnecté du préjudice subi par le salarié. Cette censure partielle du plafonnement des indemnités prud’homales, mesure réclamée par le patronat, a emporté la satisfaction des organisations syndicales. M. Macron déclarait proposer rapidement des mesures adaptant le dispositif aux exigences du Conseil Constitutionnel, le principe du barème en lui-même étant validé.

C’est ce que propose Mme El Khomri dans le cadre de l’avant-projet de loi « visant à instaurer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » transmis au Conseil d’Etat le 17 février 2016.

2. A la proposition contestée de l’avant-projet de loi El Khomri
Poursuivant le même but, à sa- voir « favoriser l’embauche », l’avant-projet de loi El Khomri contient en son article 30 un barème sensiblement différent de celui initié par M. Macron. Ainsi, le schéma retenu dans l’avant-projet de loi du 17 février 2016 abandonne l’idée de fixer des minima, de sorte que seul un montant maximum est prévu, lequel varie en fonction de la seule ancienneté acquise par le salarié dans l’entreprise. Ainsi, seraient alloués par la juri- diction prud’homale :
- 3 mois de salaire au salarié comptant moins de 2 ans d’ancienneté,
- 6 mois de salaire au salarié comptant entre 2 ans et moins de 5 ans d’ancienneté,
- 9 mois de salaire au salarié comptant au moins 5 ans d’an- cienneté mais moins de 10,
- 12 mois de salaire au salarié comptant au moins 10 ans et moins de 20 ans d’ancienneté,
- 15 mois, en cas d’ancienneté d’au moins 20 ans.
Par ailleurs, le montant maxi- mum envisagé a été drastique- ment corrigé à la baisse, passant de 27 à 15 mois de salaire. Observant a priori le motif op- posé par le Conseil Constitu- tionnel dans sa décision du 5 août 2015, l’esprit de ce nou- veau barème est directement contraire aux dispositions légales en vigueur (article L.1235-3 du Code du travail) qui fixent un montant plancher uniquement, à savoir l’octroi de 6 mois de salaire lorsque le salarié compte au moins 2 ans d’ancienneté, permettant ainsi aux juges d’allouer une indemnité supérieure au salarié.

Or, il apparaît que le dispositif tel que mentionné à l’avant-pro- jet de loi El Khomri pose une limite certaine à cette appré- ciation souveraine des juges du fond, sauf en cas de « faute de l’employeur d’une particulière gravité », le texte visant expres- sément :
- les faits de harcèlement moral ou sexuel,
- l’atteinte à une liberté fondamentale,
- le licenciement motivé par l’ac- tion en justice du salarié en ma- tière de discrimination, d’égalité professionnelle ou de corrup- tion,
- la violation de l’exercice du droit de grève ou de la protec- tion de salariés protégés, ainsi que des dispositions protectri- ces de la maternité, des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou de l’inaptitude.

En effet, en pareils cas, le déplafonnement de l’indemnité serait envisageable.
Si ce barème peut assurer une sé- curité juridique aux justiciables en harmonisant les pratiques des 210 Conseils de Prud’hommes de France et de Navarre, il n’en reste pas moins qu’il entache l’essence même de l’intervention du juge statuant dans le cadre de la réparation du préjudice, ce dernier fût-il non professionnel.

- En détails
- Assurément, cet avant-projet de loi suscite des réactions detoutesparts,unepétition en ligne rassemblant plus de 750.000 signataires à ce jour.
- Si les syndicats sollicitent le retrait pur et simple de la barémisation des indemni-
tés prud’homales en cas de licenciement abusif, y voyant une possible porte ouverte au licenciement sans motif, Pierre Gattaz, président du Medef soutient ce « texte pour l’emploi ».
- Lorsqu’il aura été présenté en conseildesministres,cetexte examiné en première lecture à l’Assemblée Nationale début avril et au Sénat en mai promet un printemps mouvementé.

 ?Agnès BALLEREAU-BOYER
Cabinet Capstan
Avocat au Bureau de Grasse

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