L'Europe vue du train

L’Europe vue du train

Les transports constituent, depuis quinze ans, l’une des politiques de l’Union européenne. Les entreprises françaises du secteur entendent profiter de l’ouverture à la concurrence, mais sans perdre leurs prérogatives.

Monter dans un train à Paris et en descendre quelques heures plus tard à Francfort, Londres ou Barcelone, sans avoir changé de monnaie ni montré ses papiers d’identité. C’est une évidence aujourd’hui, mais relevait encore de l’utopie à la fin du siècle dernier. La construction politique et économique de l’Europe, ainsi que la généralisation de la vitesse, ont beaucoup profité aux voyageurs au long cours, mais pas seulement. L’instauration de la concurrence, le respect des droits des passagers, mais aussi la promotion du tramway ou du bus de ville présentent un volet européen fourni.

Les transporteurs publics, compagnies ferroviaires, routières ou opérateurs de réseaux urbains, ne peuvent plus ignorer « Bruxelles ». L’Europe, c’est tous les jours, ou presque, même si on n’en parle que tous les cinq ans, au moment des élections européennes et du renouvellement de la Commission. « Nous suivons tous les textes en cours et lançons des réflexions de fond », affirme Sophie Boissard, directrice de la stratégie de la SNCF et vice-présidente de l’Union des transports publics (UTP). Pour montrer qu’elle ne se tient pas à l’écart des enjeux communautaires, cette organisation patronale a convié la presse française à Bruxelles, au cœur du quartier européen, quelques semaines avant les élections. L’UTP, qui rassemble 230 transporteurs de tous types pesant 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires et employant 25 000 salariés, relaie par ailleurs les actions de l’Union internationale des transports publics (UITP) qui siège précisément dans la capitale de l’Europe.

La France, « ni bon élève, ni mauvais élève »

Les transports constituent l’une des politiques de l’Union, au titre des « compétences partagées », c’est-à-dire que les institutions européennes comme les Etats-membres sont habilitées à légiférer dans ce secteur. A titre de comparaison, l’union douanière où les règles de concurrence constituent des « compétences exclusives » de l’Union, tandis que les politiques industrielle, culturelle ou touristique demeurent essentiellement nationales. Selon Sophie Boissard, « 80% des règles qui s’appliquent au secteur viennent du champ communautaire ». Dès lors, les interactions entre la politique française des transports et celle de l’Union « jouent dans les deux sens : de grandes législations communautaires s’intègrent dans les lois nationales mais aussi, à l’inverse, la loi française irrigue le droit européen », ajoute la responsable de la compagnie ferroviaire.

« La France n’est ni le mauvais élève que certains décrivent, ni le bon élève comme elle se plaît parfois à le présenter », sourit Jean-Marc Janaillac, PDG de la société Transdev (groupe Veolia) et président de l’UTP. Pour le patron de cette entreprise de transport, les objectifs européens de réduction de la pollution et des émissions de CO2 constituent un moyen de promouvoir des mesures que les autorités nationales rechignent à prendre. « Les plans d’agglomération durable supposent une tarification de la mobilité urbaine plus juste », affirme-t-il. L’UTP se plaint régulièrement de la baisse de ressources accordées par les collectivités locales aux transports urbains et plaide pour la hausse des tarifs appliqués aux usagers.

Cela fait une quinzaine d’années que « Bruxelles » s’intéresse à la politique ferroviaire. Les institutions, la Commission, avec l’accord des Etats et du Parlement européen, ont imposé la séparation entre les opérateurs ferroviaires (telle la SNCF), ayant vocation à se livrer concurrence, et les gestionnaires de réseaux (comme Réseau ferré de France), qui relèvent d’un monopole de chaque Etat. « Les compagnies aériennes ne possèdent pas les aéroports, et les transporteurs routiers ne sont pas propriétaires des autoroutes », argumente-t-on à Bruxelles. Depuis, la politique ferroviaire européenne s’est déclinée en une série de « paquets », en jargon bruxellois, des ensembles de directives et règlements qui visent à harmoniser les normes d’un secteur en particulier. En janvier 2013, la Commission a ainsi publié son quatrième « paquet ferroviaire », qui prévoit un espace ferroviaire unique et instaure la concurrence pour le transport des voyageurs. Cette ouverture au marché concernerait, en France, outre les trains rapides, les TER, les trains d’« équilibre du territoire » qui circulent entre les régions, mais aussi le réseau Transilien, en Ile-de-France. Le processus de décision, qui implique le Parlement, le Conseil et la Commission, doit aboutir en 2019.

Ces dispositions, parfois contestées en France, doivent faciliter les déplacements intra-européens. Aujourd’hui, 14 000 mesures techniques, qui frisent parfois le protectionnisme, limitent toujours la circulation des trains. « Les TGV italiens ne peuvent pas emprunter le réseau français, parce que la définition de la sécurité n’est pas la même », indique-t-on au Parlement européen, à Bruxelles. Les Thalys, qui roulent sur des rails français, belges, néerlandais, allemands et luxembourgeois, sont soumis à autant de systèmes de sécurité différents.

La bataille du billet unique

L’UTP ne présente pas d’opposition de principe à cette nouvelle libéralisation, notamment parce qu’elle pourrait profiter à des entreprises françaises, mais à condition que cela se fasse « à armes égales », précise Sophie Boissard. Or, si l’on se fie à l’organisation professionnelle française, la concurrence risque d’être imparfaite : « le Parlement a étendu sine die les cas où les pouvoirs publics pourraient octroyer un marché à la tête du client », regrette la directrice de la stratégie de la SNCF. En revanche, les transporteurs français se montrent opposés au souhait, avancé par la Commission, d’une billettique européenne unique, qui permettrait par exemple de commander, à Creil (Oise), un billet pour l’île de Capri, au large de Naples, via la SNCF, la RATP, Trenitalia et la compagnie de bateau du golfe de Naples. « Nous sommes favorables à l’amélioration de la vie des voyageurs, mais un système unique nous paraît un remède pire que le mal », estime Sophie Boissard. L’Europe a toujours sa nouvelle frontière.

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