La fin du tramway ?

La fin du tramway ?

Budget difficile à boucler, écotaxe suspendue, impôts moins rentables que prévu, revers électoraux : depuis quelques mois, de nombreuses agglomérations renoncent à leurs projets de transport public. Et certaines villes, à contre-courant de la tendance que l’on croyait dominante, réintroduisent la voiture en ville.

Oh la jolie maquette ! Un petit tramway aussi beau qu’un vrai, avec ses minuscules caténaires, ses rails fins comme des spaghettis et ses mini-personnages qui baguenaudent tout autour, à l’ombre des arbres. En juin, sur le stand de ce constructeur, au Salon des transports publics, un événement qui se tient chaque année, on a voulu mettre le produit maison à l’honneur. Las, les commerciaux chargés d’animer le stand demeurent les bras ballants, désemparés, inutiles. Car de nos jours, le jouet ne se vend plus. Le tramway, star des années 2000, réintroduit dans de nombreuses villes par des maires devenus présidents d’agglomérations, n’a plus la cote. Trop cher, pas assez rentable, mal financé.

Pauvre tramway. Jusqu’à l’an dernier, encore, il symbolisait, pour la métropole régionale, la préfecture, voire la ville moyenne, un avenir radieux fait de « développement durable », de « modes doux » et d’attractivité touristique. Les élus, assistés d’un prestigieux bureau d’étude et de techniciens enthousiastes, traçaient des lignes entre une cité populaire et un quartier résidentiel, desservant au passage le centre-ville. La « livrée », c’est-à-dire la peinture, était soigneusement choisie par le maire lui-même pour habiller les rames aux couleurs de la ville. Des rues étaient soustraites à la circulation automobile, des pistes cyclables et des cheminements piétonniers aménagés. Le tramway impliquait un réaménagement « de façade à façade », comme on le fait en France depuis trente ans. Le coût ne semblait pas effrayer les concepteurs, ni les élus : entre 25 et 30 millions d’euros le kilomètre, auxquels on ajoutait parfois quelques œuvres d’art, sélectionnées de manière avisée par le grand élu pour à la fois susciter l’étonnement et ne choquer personne. Il y a quelques mois encore, lorsqu’on s’étonnait de ces dépenses un peu lourdes pour le budget des collectivités, on s’attirait les mêmes réponses blasées : « ben quoi, vous trouvez que la culture, c’est superflu ? ».

« Anxiété et inquiétude »

Sauf que. Les temps ont changé, les bourses se sont vidées, les vaches sont devenues maigres. Malheureux candidat à la mairie d’Amiens, au mois de mars, Thierry Bonté (PS) a résumé en une phrase la malédiction du tramway. Distancé au premier tour, le candidat, qui cherche à succéder au sortant Gilles Demailly, envisage une alliance avec le Front de gauche. Mais ce parti est opposé au projet de tramway défendu par la liste socialiste. Thierry Bonté annonce alors qu’il « suspendra le projet » s’il est élu et ajoute : « j’ai compris les anxiétés et les inquiétudes » provoquées par ce moyen de transport. Anxiété, inquiétude : pour parler du tramway, on utilise désormais les mêmes mots que pour évoquer la grippe aviaire ou le niveau des minima sociaux.

Lorsque parviennent, dans la soirée du 30 mars les résultats du second tour des municipales, les sociétés de construction, notamment Alstom, comprennent que les années qui viennent vont être plus difficiles. Dans de nombreuses villes, des candidats qui s’étaient prononcés contre le tramway sont élus. Outre Amiens, où la nouvelle maire Brigitte Fouré (UDI) avait en partie axé sa campagne contre le projet, Caen, Aubagne ou Toulouse basculent à droite. Dans ces villes, les maires sortants voulaient étendre le réseau existant, mais leurs rivaux s’y opposaient. A Toulouse, le nouveau maire, Jean-Luc Moudenc (UMP), préfère la réalisation d’une troisième ligne de métro à une seconde ligne de tramway.

Il ne s’agit pas toujours d’un clivage entre gauche favorable aux transports en commun et droite soucieuse des deniers publics. Ainsi, à Avignon, la nouvelle maire Cécile Helle (PS) ne veut pas du projet de tramway imaginé par la droite, qui contrôle la communauté d’agglomération le Grand Avignon. A Montpellier, Philippe Saurel (divers gauche), élu à la surprise générale contre le socialiste désigné par les instances du parti, décrète très vite un « moratoire » au sujet de la ligne 5, pour des raisons budgétaires.

Les mois qui suivent les municipales confirment la tendance. Les péripéties de l’écotaxe, qui devait être ponctionnée sur les transports routiers afin de financer des infrastructures de transport public, limitent le champ de vision des élus. 800 millions d’euros, sur le 1,1 milliard annuel que devait rapporter l’impôt, étaient destinés aux transports urbains. La ligne 2 du tramway d’Angers est menacée, tout comme le projet de ligne est-ouest, à Nice, et au total plus d’une centaine d’infrastructures de tous types, bus disposant d’une voie dédiée, navettes fluviales, parkings à vélo ou téléphériques.

Le câble suspendu aux décisions budgétaires

Au Salon des transports publics, le représentant du fabricant de téléphériques Pomagalski est désespéré. « On y croyait, cette fois. Plusieurs villes s’étaient fermement engagées à construire un transport par câble : Brest, Toulouse, Créteil », énumère le commercial. « Mais avec les élections et le feuilleton de l’écotaxe, on n’est plus sûr de rien », se lamente-t-il. Depuis presque dix ans, le câble est présenté occasionnellement comme un moyen de transport urbain. Le Groupement des autorités responsables des transports (Gart), qui réunit les élus en charge des transports, en a fait un axe politique. Mais pour le moment, les seuls téléphériques présentent une vocation touristique, comme celui de la Bastille, à Grenoble, ou ont été construits loin des villes françaises, comme à Medellin (Colombie) ou Nijni-Novgorod (Russie).

La crise des transports publics s’inscrit dans un contexte économique et social peu porteur. Les employeurs, qui financent le « versement transport », un impôt assis sur la masse salariale et destiné aux transports publics, font régulièrement savoir leur irritation. Lorsque Laurence Parisot était présidente du Medef, il ne se passait pas une conférence de presse mensuelle sans que le financement des transports par les employeurs ne soit mis sur la table.

Dans bon nombre de villes moyennes, l’heure des « transports propres » est de toute façon passée. Les nouveaux maires satisfont les demandes d’une partie de leur électorat en réintroduisant la voiture dans le centre. Leurs prédécesseurs avaient mené, année après année, une politique de restriction de la place de la voiture. Ce temps-là est révolu. Auray (Morbihan) ou Béthune (Pas-de-Calais) suppriment des zones piétonnes. Nevers, Angers ou Pau imaginent des plans de circulation visant à faciliter l’usage de la voiture individuelle. On ne compte plus les villes qui octroient des heures de stationnement gratuites en espérant que la présence des automobilistes dope le commerce local.

Au Gart, on s’inquiète. Louis Nègre, sénateur-maire (UMP) de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), qui doit prendre la présidence de l’association d’élus en septembre, défend, comme ses collègues, la limitation de la place de la voiture en ville. Pour des raisons à la fois environnementales, économiques et sociales. Il aura fort à faire pour être entendu de son propre camp.

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