Les Français se méfient

Les Français se méfient toujours plus du numérique

Ils s’en servent chaque jour davantage, mais ils s’en méfient toujours plus…C’est l’histoire des relations entre les Français et les services numériques, tel que relatée par le Baromètre de la confiance de l’économie numérique de l’Association de l’économie numérique.

« En 1995, 100 000 foyers étaient connectés à Internet. Aujourd’hui, avec 83% de foyers connectés, nous faisons tout ou presque avec le numérique. Vingt ans, est-ce la durée suffisante pour gagner la confiance ? En fait, rien n’est acquis. On note même une baisse de la confiance. La réticence à communiquer ses données personnelle est en croissance », relate Laurent Nizri, vice-président de l’Acsel, Association de l’économie numérique, qui regroupe 200 entreprises et organismes publics.
C’était le 6 juillet, à Bercy, lors de la présentation de la quatrième édition du baromètre « Confiance dans l’économie numérique » réalisé pour l’Acsel et la Caisse des dépôts et Consignations (CDC).

Fraudes dans le domaine du e-commerce, usurpations d’identité et de coordonnées bancaires, scandales des écoutes américaines… le contexte est peu propice à engendrer une confiance des Français dans l’économie numérique. Pour autant, tous les internautes ne sont pas également méfiants, constate Cédric Clément, responsable du pôle « confiance numérique » à la Caisse des dépôts. Si 41% des utilisateurs qualifiés de « confiants » mesurent assez bien la qualité des services proposés et comprennent les compromis entre transmission de leurs données personnelles et services qu’ils peuvent en attendre en contrepartie, 30% se montrent plus prudents.

Et aux deux extrémités de l’arc de la confiance, 15% des Internautes se montrent carrément réticents, quand 14%, les « early adopters », se sentent très à l’aise, du fait de leur maîtrise des technologies. Autre variable, le taux de confiance des Internautes diffère selon les usages. Administration et banque sont considérés comme très fiables.

En revanche, la confiance dans les réseaux sociaux et le e-commerce se situe à un taux beaucoup plus bas. « On constate qu’un taux important de pénétration des usages ne signifie pas qu’il y ait de la confiance. C’est criant dans les réseaux sociaux », explique Cédric Clément.

La valorisation commerciale des données personnelles au cœur de la méfiance

En particulier, « les Français sont de plus en plus sensible à la protection de leurs données personnelles », poursuit Ludovic Francesconi, président de la Commission « identités numériques » de l’ Acsel. L’évolution est spectaculaire : alors qu’en 2009, les Internautes n’étaient que 5% à se montrer réticents à communiquer leurs données personnelles, ils sont 21% cette année.

Partant, les trois quarts des internautes interrogés refusent d’être géolocalisés. Quant aux informations sur leur santé, ils sont 18% à accepter de les partager en ligne, contre 29% il y a deux ans. Même tendance, concernant le partage de photos. « On entre dans une période de maturité quant à la gestion de ses données personnelles », analyse Ludovic Francesconi.

En dépit de cette méfiance toujours croissante, des usages qui suscitent l’inquiétude continuent de se répandre, à l’image de l’enregistrement de son numéro de carte de crédit chez un commerçant, en vue d’une utilisation ultérieure. « Mais il y a une prise de conscience des risques que cela peut engendrer. 60% des internautes pensent que c’est risqué de le faire. Et 15%, que c’est très risqué alors qu’ils n’étaient que 2%, il y a deux ans » illustre Ludovic Francesconi. Pour autant, tous les environnements ne sont pas jugés également indignes de confiance. En effet, 60% des Internautes considèrent acceptable le partage de données entre administrations.

En revanche, 12% seulement sont d’accord pour que les acteurs privés en fassent autant entre eux.

Dans le même sens, la méfiance croît au sujet du recours à des services d’identification et authentification fournis par un tiers privé, comme un réseau social, Paypal, une banque ou un opérateur mobile. « Ce que souhaitent les consommateurs, c’est que leurs usages restent verticaux, qu’on reste dans les silos, et qu’ils n’y ait pas trop de partage entre les usages », poursuit Ludovic Francesconi. Ici aussi, se vérifie la distinction entre privé et public : 72% des sondés sont partants pour un service de certification de leur identité assuré par l’Etat, dans le cadre des démarches administratives.

Stratégies d’évitement et nouveaux usages

Au quotidien, le paradoxe entre la baisse de la confiance et un développement des usages se résout par le déploiement de stratégies variées de protection des internautes.

Ainsi, le nombre de comptes que détient chaque internaute a légèrement diminué, (15,4 en moyenne), tout particulièrement sur les réseaux sociaux. « C’est le signe d’une maturité du comportement des Français dans le numérique et d’une rationalisation des usages », estime Ludovic Francesconi.

Par ailleurs, 84% des Internautes déploient des actions qui visent spécifiquement à protéger leurs données personnelles : 44% d’entre eux fournissent des informations volontairement erronées en ligne. La même proportion fait usage d’un logiciel de blocage de publicité. 28% utilisent un pseudo sur les réseaux sociaux. Et 70% effacent de leur disque dur cookies ou autres fichiers temporaires. Par ailleurs, « il y a de plus en plus une appétence pour les labels, qui constituent une marque de confiance », ajoute Ludovic Francesconi.

Dernier volet examiné par l’étude, celui des « nouveaux usages », les objets connectés et l’économie collaborative. Aujourd’hui, 10% des Internautes sont dotés d’un objet connecté, un bracelet ou une montre, le plus souvent. Et 20% déclarent avoir un projet d’équipement. « La confiance est relative. Souvent les données générées vont dans le cloud. Or, 35% des utilisateurs d’une maison connecté ne savent pas où sont stockées les données. Il n’y a pas forcément encore une prise de conscience », explique Ludovic Francesconi, qui rappelle que 61% des internautes sont gênés par le stockage de données en ligne…

Quant à l’économie collaborative, 16% des internautes l’utilisent comme clients et 8% comme offreurs. « Ce sont des ’Early adopters’, et donc, des gens qui ont confiance », commente Ludovic Francesconi.
Résultat : l’économie collaborative affiche des scores bien plus élevés que les usages courants : 83% des offreurs ont confiance, et 79% des clients. Parmi les conditions de leur confiance, « la renommée du site est très importante à la fois pour les offreurs et les clients », constate l’expert. Les notations des autres utilisateurs et les possibilités de paiements constituent également des critères de confiance partagés par les deux types de profils. Quant à ceux qui n’ont pas franchi le pas de l’économie collaborative, « la confiance n’est pas premier frein, mais elle arrive rapidement », explique Ludovic Francesconi. En effet, si la première motivation annoncée est le manque de besoin pour 64% des non-pratiquants, la confiance est citée par 21% des répondants.

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