Les tracteurs de la (...)

Les tracteurs de la colère

Gérald Darmanin a donné de judicieuses consignes de modération aux forces de l’ordre depuis le début de la crise agricole qui voit routes et autoroutes du pays investies par de gros tracteurs avec à leurs volants des paysans à bout de nerfs. Sage précaution en effet car ce mouvement, né de la base, est soutenu par une majorité de Français, qui comprennent les revendications et parce qu’il est forcément plus difficile de déloger de solides gaillards habitués aux travaux de force que des étudiants contestataires, des fonctionnaires grévistes ou des petits retraités habillés en jaune sur la place Garibaldi de Nice... De nos jours, les tracteurs sont des monstres à quatre roues motrices de 450 chevaux et plus, potentiellement équipés d’un godet capable de repousser les charges de CRS. Autant dire, des armes (par destination) de dissuasion. « Besoin de personne en Massey Ferguson »...

Les syndicats agricoles ont pris grand soin de canaliser leurs troupes pour éviter les débordements. C’est très bien ainsi. Le jeu de cache-cache entre gendarmes et paysans tient en haleine les médias : malins, des agriculteurs ont réussi à encercler « par surprise » le MIN de Rungis mercredi, pourtant défendu par des blindés de la gendarmerie finement prépositionnés pour les bloquer. Loupé.
Pendant ce temps, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a pris la route de Bruxelles pour arracher les accommodements susceptibles de répondre aux demandes pressantes du monde rural : limitation des importations de volailles ukrainiennes vendues à vil prix en comparaison à nos poulets de Bresse, obligation des mêmes normes environnementales de production d’un pays à l’autre, etc. Sa tâche a - relativement - été facilitée par la grogne des paysans de Belgique et d’Espagne, qui viennent d’entrer dans la contestation, tandis que le feu couve un peu partout, sauf dans les pays qui produisent pas cher et exportent beaucoup. Et qui, au nom de la solidarité européenne, sont les grands gagnants de la Politique Agricole Commune.
Emmanuel Macron a repris le même « chantier » jeudi lors du sommet des 27, avec l’espoir d’éteindre l’incendie. Gabriel Attal a annoncé dans son discours de politique générale des mesures favorables : le versement des aides de la PAC sous six semaines, des subventions pour les viticulteurs peinant à écouler leur production, pour les éleveurs de bovins touchés par la Maladie hémorragique épizootique, ainsi que des contrôles renforcés pour faire respecter la loi Egalim2 devant garantir des revenus décents aux producteurs. Cela va dans le bon sens, mais paraît encore insuffisant aujourd’hui.
Les finances publiques françaises et les règles communautaires ne permettent guère de faire des excentricités pour calmer la colère des campagnes.
Les agriculteurs ont déjà obtenu quelques « avantages », seront-ils tentés de se lancer dans « toujours plus » ressemblant à une fuite en avant ? Réponse dans quelques jours...
En attendant, on espère bien ne plus revoir les images navrantes de parkings de supermarchés ravagés par des tractopelles de rayons vidés de marchandises « étrangères », de purin projeté sur les façades des sous-préfectures, de camions détroussés des fruits et légumes importés. Ces actions violentes desservent la cause, même si elle est juste.
Le bon sens... paysan devrait amener à plus de modération, espérons.

Jean-Michel CHEVALIER

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