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Migrations estivales : les autoroutes sont-elles vraiment trop chères ?

Cet été, la Cour des comptes s’empare d’un sujet qui nourrit les conversations sous la tonnelle : le chiffre d’affaires des sociétés d’autoroutes. Le tarif des péages augmente non seulement plus que l’inflation, mais l’Etat négocie mal avec ces groupes du BTP auxquels ont été concédées les voies. Un rapport parlementaire dresse le même constat.

Il est 15 heures au péage de Lançon-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, sur l’autoroute A7. En ce jour de grand départ, comme disent les bulletins de Bison futé, les barrières métalliques, blanches et rouges, ne cessent de se lever et de se baisser. Les voitures se calent dans l’un des 24 couloirs de paiement situés sur le tronçon nord-sud, les conducteurs glissent leur carte bancaire dans la machine ou jettent des pièces dans l’entonnoir chargé de les recueillir. La suite se passe juste en-dessous du péage, dans un couloir à peine assez large pour laisser passer une personne. Au plafond de cette tranchée qui permet de traverser l’autoroute sans danger, des tubes en plastique gris convoient les pièces de monnaie provenant des postes de péage. L’argent roule et s’entrechoque dans un fracas de machine à sous. La concession des autoroutes à des entreprises du secteur privé n’a pas seulement un prix, elle fait également du bruit.

Pour les députés socialistes Alain Rodet (Haute-Vienne) et Olivier Faure (Seine-et-Marne), qui ont déposé le 24 juillet un projet de rapport sur les relations entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, l’écoulement des pièces devrait se faire plus discret... Les deux élus de la majorité mettent leurs pas dans ceux de la Cour des comptes qui, le même jour, a publié une communication sur ce thème. Les deux documents dénoncent, dans un même élan, les hausses pratiquées chaque année, au 1er février, par les concessionnaires. Entre 2009 et 2012, observe la Cour des comptes, la plupart des sociétés présentent des progressions de tarifs compris entre 1,8% et 2,2% par an, soit plus que l’inflation, qui était de 1,6%, par an. Cette année, la hausse a atteint en moyenne 2,01%, moins que l’année dernière (+2,5%), mais toujours plus que l’inflation (1,7%).

Argenterie de famille

« L’Etat a retiré 14 milliards d’euros de la vente de l’argenterie de famille en 2006 et depuis sept ans, les péages ont rapporté deux fois cette somme », s’étrangle Alain Rodet. Le parlementaire dénonce aussi « la réaction des patrons de sociétés d’autoroutes » qui se sont adressés récemment à l’Etat pour regretter une baisse des recettes liée au recul du trafic de poids-lourds. « Non seulement leurs recettes ne baissent pas, mais elles continuent d’augmenter », assure Alain Rodet.
Les deux élus regrettent la pratique du « foisonnement ». Avant la privatisation, négociée en 2005 et effective depuis 2006, on avait pris l’habitude d’imposer un tarif légèrement plus élevé sur les autoroutes les plus fréquentées et d’affecter cette somme aux tronçons désertés. La pratique s’est poursuivie après la concession, mais avec une certaine opacité. « La concession des autoroutes est une délégation de service public qui a beaucoup de progrès à faire en matière de transparence », assure Alain Rodet.

Les deux députés assurent ne pas vouloir « relancer une guerre préhistorique entre le public et le privé », affirme Olivier Faure. Autrement dit, le PS n’envisage pas de renationaliser le secteur. Tout juste critiquent-ils, à mots couverts, l’opération menée par le gouvernement de Dominique de Villepin. « On peut émettre des doutes sur le choix des entreprises, toutes dans le secteur des bâtiments et travaux publics », regrette le député de Seine-et-Marne. Trois géants se partagent, en effet, le marché français de l’autoroute. Eiffage, le troisième acteur du BTP en France, possède notamment les Autoroutes Paris-Rhin-Rhône et la société A’lienor, concessionnaire de l’A65, entre Bordeaux et Pau, la dernière-née des autoroutes françaises. Vinci Autoroutes, filiale de la multinationale bien connue, dirige trois sociétés majeures, Cofiroute, Escota et Autoroutes du Sud de la France (ASF), qui opèrent toutes les trois dans la partie méridionale du territoire. La Société des autoroutes du nord et de l’est de la France (Sanef), enfin, a été concédée au groupe autoroutier espagnol Abertis, spécialisé dans la logistique et les communications. Nul ne doute que les trois groupes, en charge de l’entretien des voies, font travailler leurs propres équipes lorsqu’il faut goudronner un tronçon ou élargir un ruban. « Ils sont à la fois donneurs d’ordre et prestataires », résume Olivier Faure.

Un luxe qui a un prix

A l’Association française des sociétés d’autoroutes (ASFA), qui regroupe tous les acteurs concernés, les rapports de la Cour des comptes et des élus font réagir. « Le transfert de charges au moment de la privatisation a été de près de 40 milliards d’euros », une somme que les sociétés « doivent amortir en moins de 20 ans, en supportant pleinement le risque », indique l’organisation professionnelle, dans un communiqué. Les autoroutiers ne cessent en outre de rappeler que leurs voies sont cinq fois plus sûres que le reste du réseau et que la vitesse est un luxe qui a un prix.

La Cour des comptes et les parlementaires ne contestent pas ce dernier point mais s’inquiètent surtout de la manière dont se négocie le renouvellement des concessions, prévu, selon les cas, en 2029 ou en 2032. Comme le soulignent les sages, « le rapport de forces apparaît plus favorable aux sociétés concessionnaires » qu’aux pouvoirs publics. Alain Rodet regrette, lui, « les habitudes un peu laxistes », prises au sein de l’administration lors des négociations avec le secteur privé. Le lobby du BTP sait manifestement s’y prendre. « Les sociétés disposent d’une puissance de feu incomparable avec celle des pouvoirs publics », lâche Olivier Faure.

Une date opportune

Lorsqu’on publie un rapport sur le tarif des autoroutes, mieux vaut le faire fin juillet qu’en novembre. Au moment des départs en vacances, le prix du péage constitue une préoccupation partagée par les automobilistes et par les médias. La communication de la Cour des comptes, que les sages ont choisi d’adosser au rapport parlementaire prévu depuis six mois, tombe donc au bon moment. Le député Alain Rodet dément mollement le choix de la date. « Entre Lyon et Marseille, il y a autant de trafic en hiver qu’en été », assure-t-il. Ce qui est faux : l’été, le nombre de passages dépasse les 100 000 par jour, et atteint même 150 000, contre 60 000 en moyenne. Olivier Faure admet que la publication fin juillet est « opportune », mais ajoute que cela n’enlève rien à la démonstration.

Visuel : Photos Libres

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