Travail au noir ou (...)

Travail au noir ou travailleurs détachés ?

La pratique du travail au noir est en légère baisse, d’après le Conseil économique social et environnemental (CESE). Le réprimer davantage pourrait favoriser le recours aux travailleurs détachés.

L’étendue de ce « désastre » que constitue la pratique du travail au noir, ce sont 2 100 milliards d’euros au niveau de l’Europe, soit 18,9% de son activité. Ce 24 juin, le CESE, Conseil économique social et environnemental a publié son avis consacré aux « Conséquences économiques, financières et sociales de l’économie non déclarée » qui émet des recommandations et dresse un état des lieux du phénomène. Statistiquement, après un pic en 2008, avec la crise, le recours au travail au noir en France a un peu décru, d’après les données émanant de diverses sources (Insee, institutions européennes…) rassemblées par le CESE. Dans l’Hexagone, « cela représente environ 10% du PIB », précise Bernard Farriol, rapporteur de l’avis. Les secteurs les plus concernés restent traditionnellement les mêmes : hôtellerie, restauration, bâtiment et travaux publics (avec le phénomène de la sous-traitance en cascade), spectacle vivant et enregistré, agriculture… Ainsi, pour le secteur de l’hôtellerie-restauration, en 2011-2012, une campagne de contrôle avait fait apparaître un taux de fraude de 12,3%, soit le double de la moyenne de l’ensemble des secteurs soumis à l’opération, rapporte l’avis du CESE. Et dans le bâtiment, à l’échelle européenne, le poids de l’économie non déclarée (travail au noir et sous-déclarations de revenus) représente 31% du chiffre d’affaires du secteur, à en suivre l’étude de Kearney et Schneider . Et à ces secteurs, il faut ajouter, « les activités illégales telles que la commercialisation de productions non déclarées, la production et le commerce clandestins d’alcools, stupéfiants… », précise l’avis.

24 milliards de manque à gagner pour l’Acoss

Par ailleurs, il convient de distinguer différents types de travail au noir, précise le rapporteur. D’une part, celui qui est le fait « d’entreprises qui inondent le marché, touchent à l’humanité en profitant de l’état de besoin des personnes en difficulté », et d’autre part, ceux qui se contentent d’ « arrondir leur fin de mois. (…) ce n’est pas bien car cela fausse un peu le jeu, mais ce sont des activités qui permettent de combattre la pauvreté (…), l’argent est réinvesti dans l’économie », décrit Bernard Farriol. Dans la seconde catégorie, rentre notamment, le plus souvent, l’emploi à domicile. « La fraude y est importante mais elle est difficile à cerner », estime-t-il, citant l’exemple d’une femme de ménage qui se rend deux ou trois heures par semaine chez un particulier. Reste que, au total, le travail au noir se traduit par un préjudice pour la communauté dans son ensemble, correspondant à autant de cotisations sociales et d’impôts qui ne rentrent pas dans les caisses publiques. Par exemple, d’après l’Acoss, qui pilote les Urssaf, en 2012, le manque à gagner pour les comptes sociaux dû à cette pratique, se situe entre 20 et 24 milliards d’euros, cite le CESE. Autres victimes du travail au noir, rappelle Bernard Farriol, en premier lieu, les personnes en état de nécessité qui sont exploitées sans vergogne, par exemple des étrangers sans autorisations de séjour. Ensuite, « les entreprises, qui se trouvent concurrencées de façon déloyale ». Quant au consommateur, en cas de difficulté, par exemple de non-conformité de travaux, « il n’a aucun recours », rappelle le rapporteur.


« Du vent à saisir »

Depuis plusieurs années, la lutte contre le travail au noir a fait de réels progrès, à en suivre l’avis du CESE. « Depuis 2008, le montant du recouvrement a été multiplié par cinq. Il y a plus de contrôles, et ils sont efficaces », précise Bernard Farriol. Et de fait, 80% des contrôles effectués se concluent effectivement par une procédure de redressement, contre environ 10 % en 1998. C’est plutôt après que la procédure perd en efficacité. Ainsi, en 2013, le montant des redressements identifiés par l’Urssaf s’élève à 290 millions d’euros. Mais les sommes effectivement recouvrées n’atteignent que …15 millions d’euros. Le plus souvent, lors des procédures de recouvrement, « il n’y a que du vent à saisir », regrette Bernard Farriol qui constate une grande efficacité des contrevenants, pour faire fuir leurs capitaux par divers moyens.

Alors, pour décourager la pratique du travail au noir, le CESE recommande, en particulier, de renforcer le pouvoir des Urssaf en les autorisant à effectuer des saisies bancaires, ou à prendre des hypothèques provisoires, pour éviter les évaporations de capitaux. Par ailleurs, « il faut que les sanctions soient importantes », estime Bernard Farriol, pour qui, celles qui existent aujourd’hui ne sont pas suffisamment décourageantes. Et, sur le terrain, il s’agit aussi de renforcer la prévention, via des contrôles mieux ciblés grâce à une collaboration accrue entre les organismes de l’Etat concernés (Inspection du travail, Urssaf, DGCCRF…). Des dispositifs déjà prévus. « Il faudrait enfin que les mesures soient appliquées », estime Bernard Farriol. Reste que, « ce qui peut favoriser la baisse ( du travail au noir) , c’est le recours à des travailleurs détachés », admet Bernard Farriol. Or, la procédure, légale, n’en procure pas moins une concurrence difficile pour les entreprises basées en France. De plus, le document du CESE évoque « une mise en œuvre frauduleuse de la législation sur le détachement des travailleurs qu’il ne faut pas occulter ». En 2013, la Commission européenne estimait à 1,2 million le nombre de travailleurs régulièrement détachés dans l’Union, dont 162 000 en France. Plus du tiers d’entre eux sont concentrés dans le secteur du bâtiment, à l’échelle européenne.

L’Europe en accordéon

Les pays européens ne sont pas tous logés à la même enseigne, en matière d’économie non déclarée. En 2012, l’Autriche représente le pays le plus vertueux sur ce sujet, avec 7,6 % du PIB, suivie du Luxembourg. A l’autre extrémité, l’économie non déclarée pèse près de 32% du PIB de la Bulgarie, suivie de près par la Roumanie, un peu en dessous de la barre des 29%. Très en-deçà de la moyenne européenne ( 18,4%), la France figure parmi les bons élèves avec 10,8%. Italie, Portugal et Espagne tournent autour du double de ce chiffre.

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