L'existence sans essence

L’existence sans essence

En temps ordinaire, les Parisiens aiment bien passer le week-end à la campagne. On les comprend, même si le périple requiert de s’agglutiner sur les périphs le vendredi soir et de recommencer le dimanche. Mais bon, pour quelques bols d’air pur et quelques bouffées de senteurs naturelles, ça vaut le coup de flamber des océans de carburant et de dégazer des monceaux de cochonneries dans l’atmosphère. Mais ces pérégrinations, nécessaires à l’équilibre psychique des citadins, supposent que les véhicules puissent biberonner à leur aise dans les stations-service. Et voilà-t-y pas que de paralysie des raffineries en blocage des camions-citernes, bon nombre d’abreuvoirs se trouvent désormais asséchés. Le Gouvernement est dans le vrai lorsqu’il affirme que les stocks de réserve sont suffisants pour éviter la pénurie, au moins pendant un certain temps. Il est vrai aussi que les gisements de pétrole identifiés permettent de faire rouler l’activité mondiale pendant quelques lustres. Seulement voilà : du puits au réservoir, la route est longue.

En foi de quoi les Parigots ont-ils passé leur dimanche à sillonner la Grande couronne, à la recherche d’une pompe ouverte leur permettant d’atteindre la suivante avant la panne sèche. Voilà une allégorie saisissante du modèle économique contemporain : le mouvement sans autre but que celui de trouver l’énergie pour se mouvoir. Ce que d’aucuns ont appelé le « bougisme » est le strict contraire de la thèse existentialiste : désormais, l’essence précède l’existence. La preuve pourrait en être bientôt administrée si la pénurie de carburant se consolidait : ce serait alors le désert dans les magasins d’alimentation. Une perspective qui paraît absurde en ces temps plutôt marqués par les désordres de la surproduction, mais que les pouvoirs publics prennent manifestement au sérieux. Si bien que l’on ne peut exclure l’usage de la force pour dynamiter les barrages à la circulation, qui « prennent la population en otage ». Otage de l’opposition obstinée à une réforme des retraites pourtant inévitable. Mais que les parlementaires ont vidée de sa crédibilité en refusant que leur propre régime soit aligné sur celui du pékin. Ce n’est pas très malin.

La recette du jour

Retraite en alambic

Sortez votre bicyclette et collectez chez vos voisins pluches de légumes et fruits avariés. Mettez à fermenter dans votre cuve à mazout puis distillez soigneusement. Abreuvez votre véhicule de l’alcool ainsi obtenu et partez à la recherche d’une station-service approvisionnée. Si vous en trouvez une, faites le plein et rentrez chez vous. Puis renouvelez l’opération jusqu’à la retraite.

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