Les goûts et les couleurs

Les goûts et les couleurs

Faut-il désormais renoncer au « direct » à la télévision ? La question mérite d’être posée à la suite de la mise en demeure, adressée par le CSA à France 2, pour « non maîtrise de son antenne ». Pas de chance pour la journaliste qui officiait ce jour-là au JT de 13 heures : en recevant Jean-Paul Guerlain, elle pouvait raisonnablement supposer que le Journal s’achèverait sur une note parfumée au raffinement de la culture française. Et patatras ! Voilà que le vieux monsieur, pourtant patiné aux usages de la bonne société, se laissait aller à une incongruité en direct. « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre  » avouait-il, trahissant ainsi la morgue du dandy né avec une cuillère d’argent dans la bouche et un flacon d’essence rare sur son oreiller. Sa suffisance lui eût sans doute été pardonnée s’il n’avait ajouté : « Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin...  » . Et là, c’était trop : même au Café du commerce, on entend rarement le populo exprimer des propos en petit-nègre aussi niaisement provocateurs.

Il est permis de supposer que, peu familier de la pression du direct, Jean-Paul Guerlain ait voulu faire en hâte un trait d’humour. Seulement voilà : s’il a un bon nez, il n’a pas pour autant beaucoup de flair pour les saillies spirituelles. Et il démontre une ignorance crasse de notre histoire : l’expression « travailler comme un nègre », parfaitement autorisée par les canons de la bienpensance en vigueur, tient son origine de temps pas si lointains où les esclaves noirs travaillaient « tellement » plus que lui. En foi de quoi aurait-il été préférable que son nègre en communication lui écrivît mot pour mot le texte de son interview. Afin d’épargner à la chaîne télévisée l’accusation de ne pas avoir brouillé, en direct, des propos sottement racistes et à ce titre réprimés par la loi. Réprimés pour leur racisme, s’entend, pas pour leur sottise : s’il était interdit de proférer des âneries devant le petit écran, la télévision disparaîtrait instantanément. Et qu’il soit permis de rappeler que la référence à la couleur n’est pas systématiquement dépréciative : les amateurs de champignons rêvent tous de cueillir des bolets à tête de nègre, qui supplantent tous les autres cèpes par leur élégance racée et leur parfum subtil.

La recette du jour

Homme-de-couleur en chemise

Montez une mousse au chocolat selon votre recette habituelle ; versez-la dans un moule à charlotte et tenez-la au réfrigérateur. Démoulez pour le service et recouvrez de crème Chantilly. Si vous parfumez au Vétiver de Guerlain, vous avez fabriqué un nègre en chemise, interdit par la loi. Vous ne risquez rien, mais France 2 aura des ennuis.

deconnecte