Galette et démocratie

Galette et démocratie

Bon, la trêve est terminée. Les vacances de neige sont oubliées et les agapes à répétition digérées. Nous sommes entrés dans cette période de l’année ponctuée de (bonnes) résolutions : les enfants s’engagent à ranger leur chambre avant de partir à l’école, et les plus endurants respecteront leur promesse jusqu’à la fin de la semaine ; les fumeurs ont profité de leur gueule de bois du Premier de l’an pour renoncer à la cigarette, et la plupart d’entre craqueront avant la fin du mois ; tout le monde, ou presque, s’est engagé dans une discipline diététique visant à échapper à la malédiction des temps présents : 58% des Européens seraient en surpoids. Il nous reste un peu de marge avant de rattraper les Américains, dont 70% seraient lourdement surchargés. Hâtons-nous de calculer notre IMC, l’indice de masse corporelle qui mesure l’étendue des privations à consentir pour mériter la corpulence normale du sapiens bien portant. Seulement, voilà : aujourd’hui, l’ascèse sera impraticable. Pour l’Epiphanie, nul n’échappe à la traditionnelle galette des rois, que ce soit au travail ou chez soi. Mais pour annuler les effets d’une seule portion de feuilleté à la frangipane, il est nécessaire de s’infliger, pendant plusieurs jours, une cure de bouillon de poireaux. Cette galette est un véritable pousse-au-crime.

Les historiens prétendent que la fête chrétienne de l’Epiphanie aurait été inspirée par les très païennes saturnales, ces fiestas mémorables de l’antiquité romaine organisées autour du solstice d’hiver. Durant lesquelles la hiérarchie sociale était renversée : lors du banquet des esclaves, celui qui tirait la fève du gâteau devenait le roi du jour et avait autorité sur son maître. Pour la journée, s’entend. Cette forme de démocratie première est aujourd’hui revendiquée par certains courants politiques, qui défendent l’élection des représentants par simple tirage au sort. L’idée est plutôt intéressante, si l’on pense que le hasard fait bien les choses. Car nos démocraties électives défient les lois de la probabilité : certes, il est largement démontré que les esclaves distribuent leurs fèves au hasard, lors du scrutin. Mais ils les accordent à des candidats qui se distinguent, le plus souvent, par leur appétit immodéré pour la galette. Pas étonnant que les électeurs soient rapidement déçus. Au titre des vœux pour 2014, on souhaite donc que les élections traditionnelles soient remplacées par de joyeuses saturnales, ponctuées par le partage d’une énorme galette, truffée d’autant de fèves que de postes à pourvoir. Les pessimistes pensent que ce serait n’importe quoi, mais pas pire que ce que l’on connaît déjà.

La pensée du jour

Tant va la galette au bec qu’à la fin, le foie se rebiffe.

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