Geiger et l'épinard

Geiger et l’épinard

Qui se souvient d’Elzie Crisler Segar ? Il est pardonnable de l’avoir oublié : vous n’étiez probablement pas né lorsqu’il a disparu. Mais ses créations ont survécu, même si elles sont aujourd’hui un peu datées, pour ne pas dire assez ringardes. Elzie s’illustra dans la bande dessinée en créant le personnage d’Olive Oyl, qu’un certain Popeye vint plus tard courtiser avec une constance de chevalier moyenâgeux. Et des manières d’homme des cavernes. On ne discutera pas ici des goûts esthétiques de Popeye, dont la passion pour cette mocheté d’Olive aurait mérité une bonne psychanalyse, voire un lavage de cerveau. Mais plutôt de ses attirances gastronomiques. A croire que Segar était stipendié par l’industrie agro-alimentaire naissante, pour avoir personnifié l’huile d’olive et mis en scène un bouffeur invétéré d’épinards– en boîte, ceux-là mêmes que des générations entières ont cordialement détestés, non sans bonnes raisons, bien qu’ils fussent supposés créditer les enfants de la surhumaine force popeyenne. Les jeunes Américains préfèrent aujourd’hui se gaver de stéroïdes et de hamburgers – sans spinach, mais avec plein de cholestérol.

Il n’est pas impossible que l’épinard soit bientôt promis à disparition. Non parce que le dégoût de cette pâtée verdâtre se soit accru : au contraire, on découvre avec surprise que les champs japonais seraient quasi-exclusivement consacrés à sa culture. Car à la suite des embarras nucléaires du pays, qu’en bon exportateur il nous envoie ce jour par nuage postal, on nous tient au courant, heure par heure, de la teneur radioactive de l’épinard japonais. Comme si ce légume constituait la seule végétation du territoire nippon. A moins qu’il ne soit une véritable éponge à césium, et à ce titre susceptible de nettoyer l’atmosphère de ses particules surnuméraires et indésirables. L’épinard irradié deviendra-t-il le futur carburant des centrales nucléaires ? On l’ignore. Mais les populations pourraient bien à l’avenir snober ce légume moins ferrugineux que radioactif. Avis aux belles-mères : toujours apporter son compteur Geiger en allant dîner chez sa bru.

La recette du jour

Parapluie atomique

Vous redoutez les effets des radiations nomades, en dépit des allégations rassurantes des autorités sanitaires. Inutile de construire un abri atomique aussi encombrant que coûteux. Plantez plutôt une haie d’épinards sur votre balcon. Et vendez votre production à la centrale nucléaire la plus proche. Avec vos profits, investissez dans le saké bio. Les cours sont à la hausse. Pour un bon bout de temps.

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