L’infortune du pot
- Par Jean-Jacques Jugie --
- le 7 juillet 2014
On croyait naïvement que l’alcool était depuis longtemps banni du lieu de travail. Du reste, les distributeurs de boissons, dans les entreprises ou les administrations, débitent tous le même café approximatif et le même soda improbable, mais point de pastaga ni de petite gnôle. Heureusement que le commissaire Maigret a depuis longtemps pris sa retraite : amputé de sa pipe et sevré de fine à l’eau, ses talents d’enquêteur en seraient probablement ridiculisés. Mais bon, la fonction première de la machine à café demeure : elle reproduit la symbolique du zinc de bistrot. Le carrefour où s’échangent d’insondables banalités sur le temps qu’il fait, sur le foot au Brésil ou sur le Tour en France, outre les indispensables ragots dont se nourrit tout microcosme : la machine à café distille l’ivresse de la rumeur. Ainsi donc, les boissons alcoolisées au travail ne sont pas vraiment autorisées : se pochtronner au bureau constitue un motif légitime de licenciement, pour peu que l’employeur puisse administrer la preuve irréfutable de l’ébriété récurrente de son salarié. Ce qui n’est pas aussi aisé qu’on pourrait le croire. Mais comme toute bonne règle, celle-ci souffre d’une remarquable exception : le pot d’entreprise. Ce moment de liesse obligatoire supposé sanctifier un événement particulier : une naissance, une promotion, un départ à la retraite. Ou tout simplement la survenue du vendredi, prétexte à un apéro convivial : née outre-Atlantique, la coutume commence à s’installer chez nous.
Enfin, commençait. Car il est probable que cet usage sera fortement contrarié par l’évolution récente de notre réglementation. Un décret vient en effet de limiter le périmètre des « dégustations » jusqu’alors tolérées au sein de l’entreprise. Laquelle pourra même interdire strictement la consommation d’alcool los de ses pots, quand bien même le DG serait-il devenu l’heureux père de quintuplés. Fêter un événement marquant d’un gobelet de jus d’orange, au lieu d’une coupe de champagne, c’est faire une entorse sévère à notre exception culturelle. Encore que nous ne soyons pas le seul peuple au monde à inventer n’importe quel prétexte pour lever le coude en toute impunité. Mais bon : célébrer à l’eau gazeuse le départ de votre Chef de service, qui vous a tyrannisé pendant des lustres, c’est remplacer une frustration par une autre. Qui est sans doute aussi dangereuse pour la santé que le risque de se poivrer le nez.
La recette du jour
Pot itinérant
Vous avez noté que les entreprises ne peuvent plus désormais tolérer que leurs employés se caramélisent à l’intérieur de leurs locaux. C’est l’occasion d’inventer un nouveau service : le pot itinérant, qui sera servi au sein d’un chapiteau mobile dressé hors l’enceinte de la société. Chacun pourra y picoler jusqu’à plus soif, en toute légalité.