La curée des grands (...)

La curée des grands fauves

Finalement, ce n’est pas un métier facile que celui d’autocrate du désert. Déjà, pour enlever le poste, vous devez disposer d’un CV approprié (avec un grade militaire assez élevé), puis vous devez ferrailler contre les candidats concurrents, de préférence les armes à la main. Pour mériter le job, il faut savoir risquer sa peau. Une fois en place, il est nécessaire de pratiquer un management attentif et rigoureux, assorti de pendaisons et de prébendes, afin de calmer définitivement les renégats les plus dangereux et de déminer les velléités des autres. Sans compter les relations extérieures : même s’ils sont étiquetés démocrates, les chefs d’Etat des grandes nations lorgnent sur vos trésors naturels et rêvent de vous accuser de la rage tyrannique pour vous noyer sous leurs bombes humanitaires. Et si vous êtes un stakhanoviste des épousailles, votre incontinence matrimoniale vous dote d’une progéniture pléthorique. Chacun sait d’expérience que l’élevage des enfants est un exercice ingrat ; que leur loyauté à l’égard de la famille n’est pas garantie par les lois de la génétique ; que les mouflets font souvent preuve d’une affection excessive pour l’héritage qu’ils attendent avec une impatience vénéneuse. Bref, le self-made-man autocrate est toute sa vie confronté à la médiocrité de l’espèce humaine, au point de perturber quelquefois sa santé mentale.

Il lui faut donc beaucoup d’habileté et des nerfs d’acier pour se maintenir longtemps au pouvoir, rendre acceptable le quotidien de ses ouailles et amadouer les vautours étrangers qui convoitent ses richesses. Lesquels finissent toujours par arriver à leurs fins. On apprend avec tristesse que le célèbre Kadhafi, brillant exemple de longévité dans la dictature, a eu la faiblesse de confier une part de sa fortune à d’éminentes banques occidentales, réputées pour l’excellence de leur gestion. Les plus performantes sont les françaises, qui ne lui ont fait perdre que 40% de ses actifs, ce qui est très raisonnable. En revanche, les fonds confiés à Goldman Sachs, star inégalée de la planète financière, ont fondu de 95%, ce qui constitue un record absolu dans la gestion des grandes fortunes. Au point de se demander si, pour parvenir à une telle performance, les « gestionnaires » de la banque ne l’ont pas fait exprès. L’événement est malheureux pour le Trésor américain, qui a vertueusement gelé les actifs kadhafiens sur son territoire afin de financer la poudre des bombes qu’il envoie sur ses tentes : les gars de Goldman Sachs se sont déjà servis. Moralité : pour dépouiller un dictateur de sa fortune, mieux vaut le vol des banquiers que celui des bombardiers.

La recette du jour

Gestion à l’américaine

Vous ambitionnez légitimement une carrière prometteuse et, grâce au Ciel, vous êtes dépourvu de toute valeur morale : votre potentiel est donc considérable. Vous pouvez conquérir par les armes un morceau de désert gorgé de pétrole : c’est rentable mais drôlement risqué. Devenez plutôt patron d’une grande banque : vous pourrez écorner tranquillement les comptes de vos clients vertueux, et siphonner sans vergogne ceux de vos riches déposants qui sont aussi malhonnêtes que vous.

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