La Libye et l'opticien

La Libye et l’opticien

La politique étrangère est un art délicat, n’est-ce pas ? Elle s’établit autour d’une gestion des contraintes qui oblige à concilier la chèvre et le chou, à se taire quand on peut influer le cours des choses et à protester vigoureusement quand on ne peut plus rien. « Un diplomate est un homme qui se rappelle l’anniversaire d’une femme et qui oublie son âge » a écrit Somerset Maugham. L’aphorisme n’a rien perdu de sa pertinence. L’embrasement du monde arabe met aujourd’hui en lumière ce que votre concierge savait depuis longtemps : que nombre de pays sont, ou étaient dirigés selon des principes que la morale démocratique combat le plus souvent et réprouve toujours. Condamner nos autorités à l’opprobre au prétexte qu’elles se sont montrées indulgentes, voire plus si affinités, à l’égard des multiples tyranneaux du pétrole, c’est tirer sur les ambulances avec une mauvaise foi qui n’honore pas les snipers.

Souvenez-vous comme la Suisse se montra intransigeante lorsqu’elle entôla l’un des fils du « Guide de la Révolution » libyenne, convaincu d’avoir brutalisé son petit personnel sur le territoire helvétique. En Libye, ce n’est pas un délit pour la famille régnante : il en résulta un imbroglio avec prise d’otages diplomatiques, dont le feuilleton illustra à merveille l’arbitrage délicat entre le droit international, la morale ordinaire et les affaires courantes. Ni le droit ni la morale n’en sortent généralement vainqueurs… A ce jour, nos voisins ont renoncé à leurs querelles intestines sur la diplomatie sur désert, pour se concentrer sur des chamailleries plus terre-à-terre. Car depuis le début de l’année, leurs assurances-santé ne remboursement plus les frais de lunettes. Trop d’abus, dit-on, ce qui n’étonnera personne. Il en résulte un mouvement de protestation qui enfle aussi dangereusement que les révoltes africaines. Il n’est toutefois pas encore question, pour le gouvernement de Berne, de s’exiler à Tripoli. Mais de tels faits montrent combien les embarras d’intendance des temps présents ont de cruelles conséquences : ils font valoriser les broutilles épicières et négliger les questions de principe. Moralité : les populations ne sont guère plus clairvoyantes que leurs édiles. Que leurs lunettes soient ou non remboursées.

Le menu du jour

Carrière diplomatique

Vous êtes passablement miro et vos assurances refusent de rembourser vos lunettes. Réjouissez-vous : le monde contemporain ne vaut guère la peine d’être observé de près. Heureux les malvoyants : une place leur est réservée au Quai d’Orsay. Bienheureux les aveugles : ils seront ministre des Affaires étrangères.

deconnecte