La mayonnaise Leonarda

La mayonnaise Leonarda

Nous autres Français sommes champions du monde pour monter une mayonnaise. C’est que nous tenons à préserver notre réputation en matière gastronomique, encore qu’il nous faille renoncer à la paternité de la recette des cuisses de grenouille à l’aïoli : selon les archéologues qui gratouillent sans relâche le périmètre pierreux de Stonehenge, les lointains ancêtres des Anglais boulottaient le batracien voilà quelques milliers d’années. Bien avant leurs homologues du Continent. Les Froggies ne sont donc pas nécessairement ceux que l’on croit : c’est celui qui dit qui l’est, et la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe. Mais nous autres Français avons également à préserver notre double réputation d’inventeurs des droits-de-l’Homme et de Mère des Lois. Un héritage lourd à assumer, convenons-en. Mais qui nous oblige à exprimer notre légitime indignation devant le sort fait à Leonarda, devenue en un jour martyre de nos sociétés sans pitié.

A elle seule, Leonarda réunit tous les ingrédients de la mauvaise conscience de nos populations face aux problèmes de l’immigration : sa famille réside illégalement sur le territoire et appartient donc à la nébuleuse sulfureuse des « sans-papiers » ; elle est à la fois Rom et Kosovare pour épicer le débat ; elle est adolescente et scolarisée depuis plusieurs années – à ce titre déjà intégrée. Ainsi donc, ce n’est pas l’expulsion de la famille qui a tant ému les médias, nos élus et leurs concitoyens : il s’agit là de la conséquence normale du processus judiciaire approprié. Et chacun ou presque, dans notre pays, se montre respectueux de la loi républicaine. Ce qui a déclenché l’opprobre, c’est le fait que Léonarda ait été appréhendée lors d’un voyage scolaire, bien que la police ait apparemment procédé avec tact et bienveillance, aux dires des témoins directs. Voilà qui nous rappelle l’émotion récemment suscitée, aux Etats-Unis, par l’exécution d’un condamné au moyen de produits vétérinaires. Ce n’est pas la condamnation à mort qui a été conspuée, mais l’usage de poisons non répertoriés. D’accord pour assassiner quelqu’un, mais conformément aux bonnes manières. On est civilisé, tout de même. Le vrai dysfonctionnement dans notre affaire, c’est qu’il a fallu presque cinq ans à la Justice pour légaliser la procédure d’expulsion. Et que les forces de police n’ont disposé que de 48 heures pour la mettre en œuvre – les billets d’avion étant réservés. Une question de pure contrainte technique soulève ainsi l’accusation rouée d’une « rafle » de la police. Et permet à la bienpensance humanitaire, généreusement répandue sur notre sol car elle ne coûte rien, de s’exonérer d’un débat autrement plus profond : comment prévenir la migration de miséreux désespérés, que nous n’avons ni la volonté ni les moyens d’assimiler.

La recette du jour

Thérapie par indignation

Vous êtes sincèrement affligé par la misère du monde et en même temps courroucé par l’invasion des sans-papiers. Pour soigner votre mauvaise conscience, réjouissez-vous secrètement des expulsions et dénoncez-en publiquement l’inhumanité. Car le remède moderne contre la schizophrénie morale, c’est l’indignation faux-cul.

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