La métaphore pisane

La métaphore pisane

Ouf ! Nous voilà rassurés. En ces temps belliqueux, il fallait craindre que les relations entre la France et l’Italie ne se tendissent jusqu’à la rupture. Tout ça à cause des migrants de la frange méditerranéenne. Vous savez : ces gens qui ne comprennent pas les bienfaits à attendre des révolutions en cours et qui préfèrent envahir l’île italienne de Lampedusa. C’est bien la peine que l’on se décarcasse à soutenir la libération des peuples par des torrents de bonne conscience. Et accessoirement que l’on lâche des Rafales d’imprécations et autres matières blessantes contre ces dictateurs indignes qui… enfin, vous savez : qui sont bouffis d’indignité. Voilà. On ne pouvait pas rester les bras croisés. Mais de là à accepter chez soi les cohortes de réfugiés, faut pas pousser. Tant qu’ils restent en Italie, ce sont les dommages collatéraux inévitables de la chienlit. Et le problème de Berlusconi. S’ils veulent venir en France, c’est une invasion intolérable ; une interprétation abusive des accords de Schengen : pas question que ces va-nu-pieds salissent nos tapis. Grâce au Ciel, les Présidents se sont accordés : on va demander l’autorisation de s’asseoir sur les traités et convaincre les réfugiés d’aller profiter, chez eux, des bienfaits révolutionnaires. En prime, le Français Lactalis pourra prendre le contrôle total de l’Italien Parmalat ; en compensation, la France soutiendra la candidature de l’Italien Mario Draghi à la présidence de la BCE – le seul candidat qui soit un pur produit de Goldman Sachs, le parrain de l’engeance bancaire mondiale. Les vaches à lait seront bien gardées.

Pour parfaire cet accord historique, un événement d’une portée symbolique considérable s’est produit le même jour : les béquilles qui soutenaient encore la Tour de Pise ont été enlevées. Oh, d’accord, la Tour est toujours penchée sur la Piazza dei Miracoli. Un miracle, en effet. Mais qui intéresserait-elle si elle était bêtement droite ? En fait, la Tour a commencé à s’affaisser en… 1178, dès la construction du troisième étage. Bien que talentueux, ses architectes avaient un peu rogné sur le coût des fondations. Beaucoup d’argent a depuis lors été investi pour prévenir sa chute. Après les derniers travaux, la Tour pourrait rester debout encore un siècle, selon certains ; beaucoup plus, selon d’autres. Ou peut-être s’effondrer demain, pour une cause imprévisible mais à probabilité non nulle : les statistiques sur les tours penchées sont plutôt maigres. Si bien que Pise offre une métaphore parfaite de notre monde bancal : on dépense beaucoup d’argent pour éviter sa chute, tout en sachant qu’il n’y échappera pas. Quant à espérer qu’il tiendra encore mille ans, c’est peut-être faire preuve d’un optimisme excessif…

La recette du jour

Culte de l’imparfait

Vous avez bien conscience du fait que votre mode de vie est bancal. Mais vous préférez l’imperfection de votre quotidien à l’incertitude du changement. Observez les révolutions dans les pays voisins et au besoin, encouragez-les. Vos enfants en tireront des observations intéressantes et vos petits-enfants, peut-être, des conclusions pertinentes. Ou peut-être pas.

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