La Poste et les timbrés

La Poste et les timbrés

Si ça se trouve, vous ne connaissez même pas le prix du timbre. Tant mieux : la majoration prochaine ne vous fera ni chaud ni froid. Pourtant, vous auriez tort de négliger la communication alambiquée de La Poste sur le sujet. Car à y regarder de près, vous pourriez bientôt payer moins cher l’expédition de votre courrier. Probablement soucieuse de dédramatiser le renchérissement du timbre (modeste : de 0.58€ à 0.60€), La Poste propose d’innover en introduisant une nouvelle différenciation tarifaire, liée au délai (probable) de livraison. Jusqu’à maintenant existait le « service rapide », au tarif ci-dessus, susceptible de faire délivrer le pli à J+1. En réalité, selon une enquête du Sénat de l’année dernière, le délai ne serait respecté que dans un peu moins de 85% des cas. C’est mieux que jadis, certes, mais la performance reste médiocre face à celle des concurrents européens. Parallèlement, le « service lent », actuellement facturé 0.53€, vous garantit que la livraison aura lieu à J+… eh bien, quand le facteur aura le temps. Ou un peu plus tard, si absence d’affinités. Que faut-il en déduire ? Que l’offre est fai-ble-ment seg-men-tée, comme ont dû le marteler les consultants en mercatique, probablement appelés au chevet de dame La Poste. Ils sont drôlement forts ces consultants, vous savez.

Ainsi, à compter du mois d’octobre, La Poste va combler (partiellement) cette lacune en introduisant un nouveau tarif : plus lent que le service rapide, mais plus rapide que le service lent. Vous suivez toujours ? L’objectif est de classer ce tarif en « plutôt rapide », avec une livraison à J+2. C’est-à-dire, en gros, en même temps que le courrier « délibérément rapide ». Mais à 0.57€ au lieu de 0.60€. Puisque vous avez assimilé le concept révolutionnaire, vous allez faire des économies. Et il serait étonnant que l’entreprise ne décline pas cette idée lumineuse. Avec un tarif J+3, par exemple, un peu plus lent que le service plutôt rapide et un peu plus rapide… enfin, vous avez compris. On peut même envisager un tarif J+n, où le courrier serait livré juste avant les calendes grecques : ce serait idéal pour envoyer notre chèque aux Impôts. Et pour les amoureux transis, mais trop timides pour déclarer leur flamme, un service spécial garantissant que le courrier ne serait jamais distribué (en fait, le service existe déjà, mais le client en bénéficie sans le demander). Il y a donc un potentiel formidable dans la segmentation, pour peu que l’objectif soit de ralentir le service, bien entendu. Conséquence directe d’une créativité aussi débridée : La Poste devrait échapper à la privatisation. Car les investisseurs ne lisent pas tous couramment, mais ils savent compter, eux. En tout cas, les facteurs ont tort de se biler pour leur emploi : si par extraordinaire l’entreprise était privatisée, ce sont les managers qui seraient virés.

La recette du jour

Segmenter n’est pas gagner

Vous seriez satisfait de votre entreprise si vos clients n’étaient aussi pressés. Opérez une segmentation de l’offre : livraison urgente (dans le mois) ; livraison rapide (dans le trimestre) ; livraison modérément rapide (quand vous y penserez). Si cela ne suffit pas, ajoutez une livraison lente (à la saint glinglin). Vous devriez vous ruiner, mais vous échapperez au stress.

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