La recherche en danger

La recherche en danger

On est au regret de devoir annoncer des jours sombres pour les chercheurs de l’University College de Londres. Car voyez-vous, ils se sont mis en tête de surveiller l’état de santé de plusieurs milliers de fonctionnaires gouvernementaux en poste à Whitehall. Et surtout d’en publier les résultats dans Annals of Internal Medicine, une vénérable revue parrainée par l’auguste et respecté American College of Physicians. Du solide. Les conclusions de l’étude sont de nature à remettre en cause la réglementation du travail au Royaume de Sa Très Gracieuse Majesté. Ou plutôt de mettre en accusation l’absence d’une réglementation idoine. Car le rapport est sans appel : les statistiques démontrent que le risque d’infarctus s’accroit de façon exponentielle chez les fonctionnaires travaillant plus de onze heures d’affilée par jour. Un constat qui peut sans doute être généralisé à tout individu qui se tape des journées de bagnard. Surtout, note l’étude, s’il se soutient le moral en picolant un tantinet et en clopant comme une cheminée. Bien que surprenantes, ces observations relèvent de la plus stricte rigueur médicale. Et promettent de bouleverser l’organisation sociale britannique, en ces temps difficiles où la ligne officielle prescrit de travailler beaucoup plus pour éviter de gagner des clopinettes. A moins que pour les punir de leur effronterie, on n’envoie les chercheurs de l’University College casser des cailloux à Cayenne (ou masser les mammouths aux Malouines, pour respecter l’allitération et le patrimoine colonial).

On entend jusqu’ici ricaner le lecteur français. Au motif que ce n’est pas à nos fonctionnaires que de telles mésaventures pourraient arriver. Eh bien, détrompez-vous. Car il ne s’agit pas en l’espèce de modestes ronds-de-cuir de la Sécurité sociale (du reste, les Anglais n’ont plus de Sécu, ils l’ont vendue), mais principalement de hauts-fonctionnaires. Whitehall, c’est un concentré de ministères, avec la Défense, le Trésor, l’Amirauté, le Foreign Office et tout près… le 10 Downing Street. Le cœur politique et administratif du Royaume. De la même façon, nos zélées élites de la fonction publique sont dispensées de la règle ordinaire des 35 heures, et donc exposées au risque sanitaire. Pas seulement au paddock du ministère de la Défense, où les palefreniers en treillis se relaient sans relâche pour étriller nos Rafale. Passez donc près de Bercy : la lumière y brille jour et nuit. On prétend que les occupants s’usent la vue sur les vieux grimoires des alchimistes. Ils essaieraient de transmuter en profits les déficits du pays. Prions pour eux : si l’infarctus les épargne, ils n’échapperont pas à la démence précoce.

La recette du jour

La santé au travail

Vous avez décidé de travailler plus pour gagner plus. Très bien. Mais veillez à ne pas perdre la santé. Suivez en conséquence les recommandations de l’University College : après onze heures d’activité, faites une sieste de vingt minutes. Ne buvez que du thé et ne fumez que les gaz d’échappement. Vous pourrez ainsi, dès l’âge de 70 ans, profiter de votre maigre retraite de fonctionnaire anglais.

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