Le tango des vautours

Le tango des vautours

Un jour prochain, quand tous les pays de la planète auront « restructuré » leur endettement, c’est-à-dire fait défaut sur l’essentiel des dettes souveraines, les historiens de l’économie consacreront sans doute une large part de leurs travaux à l’Argentine. Laquelle représente une sorte de modèle précurseur des avanies promises aux Etats dit développés. Il n’y a pas si longtemps, l’Argentine figurait au palmarès des pays les plus riches du monde : un vaste territoire s’étendant sous des climats différenciés, une agriculture prospère, un sous-sol gavé de richesses, une industrie performante, une population cultivée et raffinée et, en guise de raton laveur pour clôturer la liste des bienfaits, le tango élevé au rang d’art majeur. L’Argentine est un joyau en Amérique latine ; un diamant culturel serti dans une opulente parure de ressources naturelles. Et pourtant, le pays est de nouveau en souffrance. Ce ne sont pas les richesses qui manquent, mais la martingale appropriée pour les répartir : ni le péronisme partageux, ni le libéralisme compétitif ne sont parvenus à sédimenter une société durablement harmonieuse. Comme partout ailleurs, le combat immémorial pour l’appropriation inégalitaire a fait de nombreuses victimes. Et à la fin, ce sont toujours les vautours qui nettoient les carcasses.

L’instabilité politique ayant régulièrement encouragé l’exode des capitaux, une bonne partie des richesses produites sur place est allée irriguer des contrées plus sécuritaires. Il a fallu compenser par l’emprunt et les créanciers étrangers en ont profité pour exiger des contreparties, sous la forme d’investissements directs qui ont prélevé plus encore sur les richesses du pays. Pas étonnant que ce cycle de rapine se soit soldé par la seule décision raisonnable : une sévère restructuration de la dette extérieure, qui s’est soldée par un « haircut » négocié de l’ordre de 70%. Sauf pour une fraction des emprunts, acquis à vil prix sur le marché par des hedge funds américains, lesquels ont refusé le deal conclu avec 93% des créanciers. Et ces fonds vautours viennent de voir confirmées, par la Cour suprême des Etats-Unis, leurs prétentions à obtenir le remboursement de leurs titres au nominal, soit à peu-près vingt fois la mise. Le jackpot. L’affaire est diablement préoccupante, et pas seulement sur le plan moral. Pour l’Argentine, d’abord, qui se trouve ainsi exposée à une ardoise potentielle de 15 milliards de dollars – qu’elle ne veut ni ne peut honorer. Mais surtout, un tel précédent rend vain tout accord de restructuration futur, dans n’importe quel pays, qui ne serait pas validé par l’intégralité des créanciers. Nous voici entrés dans l’ère du « tout ou rien » en matière de dettes souveraines. Ça va chauffer…

La recette du jour

Sus aux emprunts russes

Vous avez testé toutes les moyens traditionnels pour faire fortune. Sans succès. Normal : produire des biens ou des services ne rapporte plus un kopek. Et de toutes façons, le fil à couper le beurre a déjà été inventé. La valeur ajoutée se niche désormais dans les tribunaux. Raflez tous les emprunts russes que vous dégoterez dans les brocantes et trainez Poutine devant une Cour américaine. Vu la cote qu’il a là-bas, vous ferez un carton.

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