Le triomphe des gougnafie

Le triomphe des gougnafiers

Il y a des gens qui ont un talent inimitable pour se rendre populaires. Du genre à vous souffler la place au moment où vous manœuvrez pour stationner, du genre à vous pilonner les arpions pour vous dépasser à la caisse du supermarché, ou à piquer dans votre assiette en accompagnant le geste d’un « je peux ? » qui n’est pas une question, vu que vous n’avez pas eu le temps de répondre. Dans la population ordinaire, ces individus sont classés dans la catégorie des goujats. Mais on en trouve également dans la high society, à la tête de très grandes firmes, par exemple. Du genre à s’installer dans un pays pour y rafler des subventions publiques, arracher des ristournes de charges sociales, mendier des allègements fiscaux et exiger la reconnaissance publique ainsi que la Légion d’honneur. Dans le gratin des affaires, ces individus sont classés dans la catégorie des gougnafiers. L’opprobre n’altère en rien leur superbe, ni leur morgue, ni leur vulgarité. Car ils ont assimilé le célèbre aphorisme d’Alphonse Allais : « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites  ». Si bien que lorsque la conjoncture se rafraîchit et qu’il n’y a plus rien à gratter, ils laissent tout en plan, saquent leur personnel, abandonnent leurs usines et font un bras d’honneur à leurs généreux bienfaiteurs.

Le plus éminent représentant de la catégorie s’illustre régulièrement en Europe, laquelle lui offrit en son temps Arcelor sur un plateau d’argent. Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours, Lakshmi Mittal décide d’abandonner ses fours. Que ce soit en France, où l’on comprend l’exaspération de notre ministre du Redressement quand il dut se cogner au roi de l’acier, ou bien en Belgique, où la Région wallonne projette d’exproprier Mittal des usines qu’il entend démanteler. Ce qui, entre nous, n’est pas nécessairement très pertinent : les installations en cause sont obsolètes, pour n’avoir pas bénéficié à temps des investissements appropriés. L’os a déjà été rongé. On pourra toujours arguer que le marché de l’acier est en surcapacités – c’est vrai – et qu’il est donc cohérent, en termes de stratégie industrielle, de sacrifier les usines les moins performantes. Soit. Mais il y a l’art et la manière ; l’art de se savoir débiteur des Etats en cause, la manière de témoigner sa reconnaissance. Au lieu de cela, maintenant que la terre est stérile dans nos contrées, Mittal décide de transférer sa holding de tête de Bruxelles, où il payait peu d’impôts, à Dubaï, où il n’en paiera plus du tout. Moralité : pour passer les bornes de l’optimisation fiscale, il n’y a pas de limites à la muflerie.

La recette du jour

Stratégie en acier

Vous êtes respectueux de l’éthique dans les affaires et pourtant votre business se porte mal. Ceci explique cela : la morale est désormais une calamité pour le compte de résultats. Adoptez une stratégie en acier trempé : pillez les fonds publics, étrillez vos fournisseurs, épongez vos clients et massacrez vos salariés. Vous deviendrez riche, puissant, craint et respecté. Profitez-en alors pour vous acheter une conscience.

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