Les réseaux de la commère

Les réseaux de la commère

« Vous pouvez garder le silence, mais tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous  ». Voilà une recommandation que chacun a entendue mille fois dans les séries policières américaines. Une réplique aussi prévisible que le « Je reviendrai » de Schwarzenegger dans Terminator. Pourtant, il semble bien que ce conseil pertinent soit rarement suivi dans la vie courante. Et que des foules entières n’hésitent pas à bavasser, à pérorer, à se déboutonner, à «  liker » frénétiquement sur les réseaux sociaux. Non, ce n’est pas la NSA qu’il faut craindre : on souhaite sincèrement à la barbouzerie yankee de n’avoir pas à zieuter les colonies de coquecigrues qui s’abattent sur les réseaux. Ce qui est redoutable, c’est la mémoire insondable de ces collecteurs de potins. Capables de stocker pour l’éternité vos imprudents commentaires d’après-boire, votre autoportrait en tenue de majorette ou votre like à la plaisanterie salace d’un comique troupier. Bref, tout ce que votre propre mémoire a opportunément effacé repose sous une couche épaisse de nouveaux sédiments. Il suffit d’un bon logiciel truffier pour les déterrer.

Autant d’informations qui permettent d’établir un profil précis de consommateur, et ainsi de cibler la pub la plus appropriée. Il ne s’agit là que d’un moindre mal. Plus préoccupant, les professionnels du recrutement envisagent d’exploiter les Big Data ainsi constituées – ces énormes bibliothèques de futilités signifiantes – afin de sélectionner leurs candidats. Les robots seront désormais capables d’opérer le tri parmi des millions de candidatures – ce qui est techniquement irréaliste par les méthodes traditionnelles – et ainsi d’isoler les profils les plus adaptés au poste, « plus efficacement que la plupart des tests de personnalité ». Il suffira bientôt de mailer un CV succinct au robot recruteur, et en moins de temps qu’il faut pour le dire, vous serez engagé par El Floridita de La Havane comme barman, ou sexeur de poussins par un volailler breton. Cool. Sous réserve, évidemment, que vous entreteniez régulièrement votre page Facebook. Il n’est donc pas prudent de publier des photos de vos virées libidineuses. Où, juché sur un scooter, vous gagnez nuitamment votre garçonnière pour y retrouver une accorte danseuse, à l’insu de votre légitime et de son rouleau à pâtisserie. De tels désordres matrimoniaux pourraient entraver votre carrière. Sauf si vous ambitionnez de devenir président de la République. Dans ce cas, vous y gagnerez la sympathie des conjoints infidèles, un parti informel qui compte infiniment plus de membres que celui des abstentionnistes. .

La maxime du jour

L’opinion publique est pragmatique. Elle juge plus sincère l’homme qui dévoile ses manquements à la morale que celui qui proclame sa vertu.

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