
Expo : Les tribulations de Sanyu à Paris
- Par Jean-Michel Chevalier --
- le 22 mars 2025
Après les horreurs de la Première Guerre mondiale, et avant le krach boursier de 1929, Paris s’est étourdi dans les années folles qui furent un exceptionnel moment de bouillonnement social et culturel. Elles virent éclore des artistes qui s’appliquèrent à casser les codes jusqu’alors en vigueur pour inventer des formes d’expressions encore plus libres et plus créatrices que pendant les décennies précédentes.
Né dans le Sichuan à la fin du XIXe siècle dans une riche famille qui soutient ses aspirations artistiques, le Chinois Sanyu débarque à Marseille en 1920 après avoir commencé sa formation à Shanghai et à Tokyo où il s’initia à la calligraphie et à la peinture à l’encre. Il « monte » à Paris pour parfaire son apprentissage. D’abord à l’école nationale des Beaux Arts qu’il trouve trop classique, puis à la Grande Chaumière. Cette académie privée lui permet de rejeter tout conservatisme et de libérer sa créativité en allant vers l’essentiel, la ligne pure et simple, à la façon de Matisse et de Picasso ses contemporains. Là, il travaille son dessin sur des modèles vivants, ce qui lui aurait été impossible en Chine où le nu était interdit car considéré comme immoral.
Sanyu allie la fluidité du trait chinois à la rigueur du modernisme européen. Il réalise une fusion entre ces deux mondes en se créant son propre style. Son œuvre est surtout composée d’un grand nombre de dessins de nus, mais il est aussi connu pour un tableau remarquable, « Five Nudes, 1950 », qui est sa plus grande peinture (non présentée à Nice). Des gravures complètent son expression.
Fusion de deux mondes
Le musée des Arts Asiatiques à Nice lui consacre une exposition justement intitulée « La ligne à l’œuvre ». Elle est composée de 113 dessins à l’encre, gravures et peintures à l’huile, pour la plupart inédits et issus de la Fondation culturelle et éducative Li Ching. Ces œuvres voisinent avec quelques dessins de Matisse, de Picasso et de Foujita qui démontrent un ‘cousinage’ évident des recherches menées par ces artistes. Affranchi de tout souci matériel, la période 1930-1940 fut la plus féconde pour Sanyu : « ses œuvres sont à la fois figuratives, paisibles et harmonieuses. À la fin des années 40, ses créations se teintent d’un modernisme inattendu : ses nus deviennent à la fois graphiques et plus monumentaux. Ses lignes gagnent en puissance. À la fin de sa vie, il exécute de grandes compositions représentant de vastes paysages, étranges et sauvages » explique le catalogue de l’exposition qui lui fut consacrée au musée Guimet de Paris.
Des références dans leurs domaines
Sanyu est l’un des peintres chinois les plus importants du siècle dernier. Son travail, pour l’essentiel réalisé en France et assez ignoré de son vivant, a signé une rupture avec la peinture et le dessin traditionnels de son pays. Un Chinois qui « tribule » en Europe, ce n’était possible que dans l’effervescence du Montparnasse de ces années qui virent déambuler Modigliani, Man Ray, Prévert, Breton, Hemingway, Soutine, Léger, Desnos, Scott Fitzgerald, Henry Miller... au moment où le jazz partait à la conquête du Vieux Continent et que Joséphine Baker affolait de son audace les publics des cabarets et théâtres. La Coupole, la Closerie des Lilas, le Sélect, le Bœuf sur le toit virent défiler sur leurs terrasses les « branchés » de l’époque, qui sont depuis devenus des références dans leurs domaines et, pour les peintres et sculpteurs, les valeurs sûres de nos musées.
Les collectionneurs éclairés se sont approprié le travail de Sanyu. Cela faisait vingt ans, depuis Guimet, qu’une grande expo ne lui avait pas été consacrée. Un « oubli » que le musée niçois répare.
Jean-Michel CHEVALIER
Jusqu’au 15 juin.