Concurrence déloyale (...)

Concurrence déloyale : création par un salarié en exercice d’une société concurrente de son employeur

Le 7 décembre 2022 la cour de cassation a jugé que constituent des actes de concurrence déloyale la création par un salarié en exercice d’une société concurrente de celle son employeur, ainsi que la détention, par cette nouvelle société, d’informations confidentielles sur l’employeur, obtenues par le salarié, même si elles n’ont pas été exploitées.

Par Me Philippe Touitou, Avocat associé - LEGIPASS AVOCATS [email protected]

Exposé du litige 

La cour de cassation a récemment eu à connaitre d’une affaire qui a donné lieu à un arrêt rendu le 07/12/2022.

Une société exerçant une activité d’administration d’immeubles, en a assigné une autre en concurrence déloyale, reprochant à cette dernière, créée par deux de ses anciens salariés, d’avoir illicitement démarché sa clientèle et détourné son fichier clients. Les anciens salariés en question n’étaient pas liés par une clause de non-concurrence.

Sur le démarchage illicite de clientèle :

La société demanderesse démontrait que l’un de ses deux anciens salariés avait démarché sa clientèle quelques heures seulement avant la fin de son contrat de travail, en transmettant une offre de services, en l’occurrence une proposition de contrat de syndic, à l’un des membres d’une copropriété cliente.

Sur le détournement du fichier clients :

La société demanderesse démontrait que les deux salariés avaient transféré sur leur boîte mail personnelle, la liste des e-mails des membres des conseils syndicaux des résidences gérées et la liste des résidences gérées. Toutefois, la société demanderesse ne rapportait pas la preuve de l’exploitation effective dudit fichier clients par ses anciens salariés et la société créée par eux.

Par arrêt du 25 mai 2021, la cour d’appel de Paris a débouté la société demanderesse aux motifs suivants

Sur le démarchage illicite de clientèle :

La cour d’appel a considéré que la société nouvellement créée n’avait réellement débuté son activité qu’après la fin du contrat de travail du salarié mis en cause. Le contrat de travail ne stipulant pas de clause de non-concurrence, la cour d’appel en a déduit qu’il n’existait pas de faute imputable à l’ancien salarié, dont la société nouvellement créée se serait rendue complice.

Sur le détournement du fichier clients :

Tout en retenant que les salariés avaient transféré sur leur boîte email personnelle, la liste des e-mails des membres des conseils syndicaux des résidences gérées et la liste des résidences gérées, la cour d’appel n’a pas jugé ce transfert fautif, en l’absence de preuve de leur exploitation par un moyen fautif de la part des anciens salariés.

La société demanderesse s’est alors pourvue en cassation.

Les moyens de la société demanderesse 

Sur le démarchage illicite de clientèle :

La société demanderesse a fait valoir que le démarchage de clientèle constitue un acte d’exploitation, et que la réalisation d’actes d’exploitation d’une société concurrente par un salarié avant la fin de son contrat de travail constitue une violation de son obligation de loyauté.

Sur le détournement du fichier clients :

La société demanderesse a fait valoir que le seul détournement de son fichier clients par ses anciens salariés au profit d’un concurrent constitue un procédé déloyal, indépendamment de toute exploitation effective, ou en tous cas démontrée, du fichier détourné.

La solution de la cour de cassation 

Par arrêt du 7 décembre 2022, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel de Paris au visa de l’article 1240 du code civil qui dispose que «  Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer  ».

Sur le démarchage illicite de clientèle :

La cour de cassation donne raison à la société demanderesse en relevant que « constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié d’une société concurrente, de débuter son activité avant le terme du contrat de travail liant celui-ci  ».

Sur le détournement du fichier clients :

La cour de cassation entend l’argumentation de la société demanderesse et pose en principe que : « Le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale ».

La cour de cassation en déduit qu’en l’espèce : « la seule détention par la société défenderesse d’informations confidentielles relatives à l’activité de la société demanderesse [NDLR : en l’espèce le fichier clients], obtenues par d’anciens salariés de cette dernière en cours d’exécution de leurs contrats de travail et qui avaient contribué à sa création, constituait un acte de concurrence déloyale ».

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt 

D’abord, la cour de cassation nous rappelle que la création par un salarié d’une société concurrente de celle de son employeur avant la fin de son contrat de travail est une faute constituant un acte de concurrence déloyale.

Cette faute est susceptible non seulement d’engager la responsabilité du salarié en cause, mais aussi celle de la société nouvellement créée. Ce pourra être le cas, par exemple, si la société a débuté son activité avant la cessation du contrat de travail du salarié en cause. Le démarchage de clientèle n’est qu’un exemple d’acte d’exploitation permettant de démontrer le début d’activité.

Ensuite, la cour de cassation estime que le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité dudit concurrent et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale.

Plus largement, l’intérêt de cette solution réside dans le fait que la faute constitutive de l’acte de concurrence déloyale résulte de la simple détention des informations confidentielles relatives à un concurrent, obtenues par un procédé déloyal, indépendamment de toute exploitation desdites informations confidentielles.

Autrement dit, le caractère fautif du détournement d’informations confidentielles - en l’occurrence le fichier clients d’un concurrent - n’est pas conditionné à la preuve de leur exploitation, mais à celle du procédé déloyal par lequel les informations ont été obtenues.

Cette solution est à rapprocher d’une autre décision récente de la cour de cassation également rendue au visa de l’article 1240 du code civil. La cour de cassation a effet jugé que l’appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié, même non tenu par une clause de non-concurrence, constitue un acte de concurrence déloyale.

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