Coronavirus - Le secteur

Coronavirus - Le secteur du luxe, du futile en réalité fort utile pour le pays

La crise sanitaire actuelle a révélé au grand jour les pénuries de produits de base pour lutter contre la propagation du coronavirus. Gel hydroalcoolique et masques manquent aux soignants de la 6ème puissance mondiale, la France. L’industrie du luxe s’est saisie de ce problème.
Après s’être manifestés dans les aides à la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019, les groupes du secteur du luxe deviennent centraux à la gestion de crise sanitaire que vit la France en se positionnant en protection de l’Humain. Nacima Ourahmoune montre la force de frappe de ce secteur et explique les motivations de leurs actions.

Par Nacima OURAHMOUNE, Professeure associée en marketing - Sociologue de la Consommation, En charge du parcours Luxury and Brands du Programme Grande École de KEDGE


Le secteur du luxe fusionne l’univers économique et l’univers social pendant la crise sanitaire du Covid-19

LVMH, 1er groupe mondial du secteur du luxe, réoriente sa chaine de production pour offrir du gel hydroalcoolique directement aux hôpitaux. De nombreux acteurs de la beauté ont suivi ce mouvement initié en Italie par Kering, Armani, Versace avec des dons monétaires. Ces initiatives peuvent s’expliquer par la dépendance du secteur du luxe aux 4 marchés chinois, français, Italien et américain, sévèrement impactés par la crise. Il est dans leur intérêt de participer à un retour à la normale le plus tôt possible.

S’engager pour fabriquer du matériel est une action plus impactante que donner de l’argent. Les grands groupes l’ont bien compris et le mettent en œuvre avec l’appui du Comité Stratégique de la Filière Mode et Luxe. Le gouvernement leur a donné pour mission de fabriquer des masques “anti-projections simples” à destination des entreprises toujours en activité dans les secteurs essentiels pour leur permettre de travailler en sécurité.

Après seulement quelques jours, 400 fabricants et fournisseurs se sont mobilisés pour répondre aux demandes de plus de 10 millions de masques.
Pour LVMH, l’opération Covid-19 se poursuit par une liaison aérienne entre la Chine et la France, dans le but d’importer 40 millions de masques pour protéger les personnels de santé. Les moyens internationaux mis en œuvre par le groupe sont comparables à ceux d’un État.

Les esprits sont marqués par la prise de décision stratégique agile et rapide et la maitrise de la supply chain du groupe. qui ainsi gagne en visibilité internationale. Désormais, Ferrari produit des respirateurs et PSA suit. Chaque acteur économique cherche à impacter positivement la lutte contre le coronavirus et à différencier son champ d’intervention pour se rendre plus visible. La distinction entre économique et social se voile dans cette crise.

L’économie en temps de crise se transforme en « Économie de guerre »  : les entreprises adoptent la stratégie du marketing de la cause situationnelle

LVMH, sous l’impulsion de Bernard Arnault, s’est ainsi t illustré dans l’effort de guerre contre le Covid-19 de manière spectaculaire, incarnant le concept d’économie de guerre. Il s’agit d’une situation où un gouvernement prend des mesures exceptionnelles par-delà les principes économiques habituels pour sortir gagnant. A l’heure où l’on constate un affaiblissement du pouvoir politique au profit des multinationales, le coronavirus vient illustrer une mobilisation exceptionnelle de certains acteurs de l’économie pour contribuer au service de l’État et des citoyens.

Une marque peut se faire sanctionner pour ce qu’elle ne fait pas

Dans une ère où aucun champ social n’échappe au marketing y compris le politique, ce que la marque ne fait pas peut lui couter cher. Une récente étude a montré que 87% des consommateurs interrogés ont annoncé se tourner vers une marque concurrente si celle-ci défend une cause ne correspondant à leurs valeurs. Dans ce cadre, les millenials (les jeunes générations) qui vont devenir les clients majoritaires du luxe sont particulièrement discriminants sur ce critère. De plus, les consommateurs attendent une authenticité dans l’engagement social des marques.

Un univers considéré comme futile qui s’avère particulièrement utile en temps de crise

A l’heure du développement durable, l’univers du luxe, qui subit généralement la critique ciblant les achats superflus, trouve ici un ressort d’expression légitime et fort. Lors de la crise de Notre Dame de Paris, LVMH s’était également distingué au-delà du don monétaire car c’est devenu monnaie courante entre concurrents. Le seul « don » ne permet plus de se distinguer. Il est même sujet à des critiques d’instrumentalisation des causes. LVMH avait alors ajouté une communication du « faire » comme pour le coronavirus, montrant les compétences du groupe par la mise à disposition de son capital humain pour la résolution du drame de l’époque.

Le don de soi pour renforcer le capital social de la marque

LVMH communique sur une culture de l’entrepreneuriat au sein du groupe, basée sur le concept de don de soi. L’action de Bernard Arnault comme « guide héroïque » du déploiement des compétences de LVMH au service de de la ‘Maison’ France au moment où la presse titrait sur ses pertes personnelles en milliards assure un retour sur investissement en termes d’image, tout en nourrissant bien des facettes de la marque LVMH. Le don de millions d’Euros aux hôpitaux de Paris, le renoncement à deux mois de salaire de Bernard Arnault viennent parachever une stratégie sociale multi-volets. Ces actions de « cause marketing » génèrent bien entendu des critiques et dénis quant à leur authenticité sur les réseaux sociaux. Ce bruit fait partie de leur stratégie de brand content : le luxe communique large mais cible les happy few. Ces derniers, au fil des études consommateurs démontrent une tension entre consommation de luxe et postures altruistes vis-à-vis de la société.

Le luxe perçu en temps de crise comme une valeur refuge, rend le futile, utile

Ces illustrations du travail sur l’image de marque, sur la connexion avec les consommateurs et sur la différenciation par-delà le don monétaire avec le géant Kering viennent renforcer le brand equity (le capital marque) de LVMH. L’analyse des valeurs boursières depuis fin décembre est révélatrice de phénomènes intéressants. Depuis fin décembre LVMH perd 18%, Kering 22% et L’Oréal 12% quand les secteurs de l’automobile, des banques, des assurances et des biens des secteurs utiles se situent à des pertes de 40 à 70%. Le luxe est bien vu comme une valeur refuge avec une confiance dans un effet rebond à venir. Hermès impliqué dans la logique d’économie de guerre enregistre un record de ventes de l’une de ses boutiques en Chine. Est-ce à dire que l’engagement social des marques dès le début des crises qui menacent leur marché peut protéger leurs résultats ? Il semblerait que les marchés économiques trouvent cet investissement opportun.

A propos de Nacima Ourahmoune :

Nacima Ourahmoune est professeure associée en Marketing à KEDGE Business School. Nacima a obtenu son doctorat au sein de la chaire LVMH de l’ESSEC et IAE Aix-en-Provence. Auparavant, Nacima avait été diplômée d’un Master 2 en recherche en marketing (Paris 1 Sorbonne), un MBA en luxury branding (Cartier-EDC), du diplôme Grande Ecole d’HEC Paris et de Sciences Pô Aix. Nacima a une longue expérience du conseil international en stratégie de marques et consommation. Nacima enseigne principalement le Marketing de la Mode et du Luxe et coordonne le parcours Orienté Luxe et Brands au sein du programme Grande Ecole a KEDGE BS.
Sa recherche examine les phénomènes de consommation dans les marchés établis et émergeants du point de la stratégie de marque ou du comportement du consommateur. Ses travaux ont été publiés notamment dans : Journal of Public Policy and Marketing, Journal of Business Research, Marketing Theory, Consumption Markets Journal of Macro Marketing, Journal of Consumer Behavior…et communiqué dans plus de 80 conférences internationales de premier plan.

A propos de KEDGE :

KEDGE est une Ecole de management française de référence présente sur 4 campus en France (Paris, Bordeaux, Marseille et Toulon), 3 à l’international (2 en Chine à Shanghai et Suzhou, et 1 en Afrique à Dakar) et 3 campus associés (Avignon, Bastia et Bayonne). La communauté KEDGE se compose de 14 800 étudiants (dont 25% d’étudiants étrangers), 192 professeurs permanents (dont 44% d’internationaux), 291 partenaires académiques internationaux et 70 000 diplômés à travers le monde. KEDGE propose une offre de 36 formations en management et en design pour étudiants et professionnels, et déploie des formations sur-mesure pour les entreprises au niveau national et international. Membre de la Conférence des Grandes Ecoles et accréditée AACSB, EQUIS et AMBA, KEDGE est une institution reconnue par l’Etat français, avec des programmes visés, et labellisée EESPIG. KEDGE est classée par le Financial Times 31ème meilleure Business School en Europe et 39ème mondiale pour son Executive MBA.
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