Dix anecdotes instructive

Dix anecdotes instructives qui reflètent un parcours de reprise d’entreprise

Mieux vaut de petites histoires qu’un long discours. Lors du salon de la reprise d’entreprise Transfair qui s’est déroulé à Paris fin novembre, Pascal Ferron, président de Walter France, spécialisé depuis 35 ans en reprise d’entreprises, et Stéphane Meunier, conseil en reprise transmission à la CCI Paris Ile-de-France, ont illustré l’ensemble du parcours d’un repreneur d’entreprise.

Reprendre une entreprise n’est jamais un long fleuve tranquille. C’est un chemin jalonné de doutes, de rencontres improbables, de négociations décisives et de surprises parfois cocasses, parfois coûteuses. Derrière chaque transmission se cache un parcours humain où se mêlent intuition, stratégie, psychologie et capacité d’adaptation. À partir de situations réelles vécues par des repreneurs, voici dix anecdotes qui éclairent, avec réalisme et humour, les multiples facettes d’un projet de reprise.

Quand Paris manque… et que la boîte de nuit locale n’y change rien

Monsieur M. rêve d’un nouveau départ, loin de la capitale. Il rachète une PME en région mais trois mois plus tard, il déchante : il n’apprécie ni le métier, ni la région. Et pour son adolescent, habitué aux nuits du 16e arrondissement, « les boîtes de nuit ne sont pas aussi cool qu’à Paris 16e ».

Leçon : la reprise est d’abord un projet de vie. Le lieu, l’environnement comptent autant que le modèle économique. Alors réfléchissez bien à votre projet de vie avant de vous lancer ! Si votre conjoint(e) ou vos enfants sont réfractaires, ne vous lancez pas tête baissée, ou alors après moultes négociations internes à la famille ayant abouti à un consensus. La zone géographique doit être votre critère numéro 1. C’est votre futur lieu de résidence et de nouvelle vie.

Quand les fausses Cassandre vous prédisent le pire

Un repreneur s’entend dire par son entourage : « Pauvre malheureux, non seulement il se lance dans un parcours du combattant, mais en plus il recherche une cible aux antipodes de ses derniers postes. Il va directement à l’abattoir ! »

Leçon : c’est totalement faux. Un repreneur peut tout à fait réussir dans un secteur qu’il ne connaît pas. En revanche, il doit avoir l’envie ! La question à vous poser est : en quoi suis-je bon ? en quoi suis-je mauvais ? Qu’ai-je bien réussi à faire seul ? Quelques rares personnes vous encourageront, beaucoup d’autres non. Les conseils vont vous aider techniquement. Mais dans votre entourage, plein de gens ont plein d’idées reçues. Ne vous laissez pas décourager. Vous devez être convaincu vous-même. Le champ des possibles est vaste, des entrepreneurs reprennent dans un tout autre métier. Méfiez-vous de toutes les Cassandre qui assènent de fausses vérités, il y en a beaucoup. Il ne faut avoir aucun dogme.

La rencontre avec le cédant : quand l’opportunité se cache derrière un “je ne suis pas vendeur

Approcher directement un dirigeant reste l’un des meilleurs leviers pour trouver une cible. La preuve : Monsieur R. contacte un chef d’entreprise, qui lui répond immédiatement : « Je ne suis pas vendeur, je cherche un DG. Mais si je vendais… ce serait un million. » Trois mois plus tard, il vend sa société à Monsieur R. pour 970 000 euros.

Autre cas vécu : Monsieur K. rencontre un cédant chaque année pendant 10 ans avant que celui-ci accepte enfin de vendre.

Leçons : de nombreux cédants ne veulent pas communiquer. Alors sourcez un maximum, faites savoir que vous recherchez une entreprise à reprendre, faites des mailings, prenez votre téléphone et « tapez dans le dur ». La stratégie de réseau et la patience sont clés. Stéphane Meunier précise : « Si vous n’êtes pas à l’aise, des structures comme les CCI peuvent faire ce travail d’approche pour vous ». Ensuite, ne passez pas quinze jours à étudier le dossier, mais rencontrez le cédant le plus vite possible.

Les dossiers « en vitrine » ne sont souvent pas les plus intéressants. Certes, on entend dire qu’en France, de nombreuses entreprises doivent trouver un repreneur. Mais lorsque vous écartez celles qui ont 0 ou 1 salarié, les transmissions familiales, les opérations de croissance externe qui se font entre groupes, soyez assuré qu’il est compliqué, en tant que personne physique, de trouver la 1ère chaussure à son pied.

Dans tous les cas, vous ne devez jamais reprendre une entreprise par défaut, parce qu’il ne vous reste plus que quelques mois avant que Pôle Emploi ne se termine. Dans ce cas, vous êtes en position de faiblesse, et le cédant le sent, alors retrouvez vite un emploi salarié et remettez votre projet à plus tard. Le maître du temps, c’est le cédant.

Quand le repreneur passe de la moquette épaisse à la poussière des chantiers

Monsieur B., ancien banquier, rachète une entreprise du bâtiment. Finie la moquette épaisse des salles de réunion, place aux chantiers, aux bottes en permanence dans le coffre de la voiture, et le plus souvent poussiéreuses, et aux relations directes avec les équipes terrain.

Leçon : le décalage est énorme entre le monde d’où vous venez et le petit patron de PME. Le terrain est très différent du pilotage stratégique en PowerPoint et Excel. Être dirigeant de PME, c’est accepter un nouveau statut social, la solitude décisionnelle et l’humilité face à des métiers très pratiques. Beaucoup de repreneurs, même surdiplômés, vivent ce choc. Il existe de nombreux clubs de repreneurs, n’hésitez pas à vous y rendre pour partager vos expériences, cela vous fera du bien au moral !

Quand une invitation à dîner fait basculer le cœur du cédant

Monsieur H. devait céder son entreprise… jusqu’au moment où il renonce, en annulant la vente au dernier moment. Conscient du préjudice créé, il indemnise pourtant le repreneur de 50 000 euros. Ce genre de générosité est assez rare pour mériter d’être signalée…

Mais un cédant peut aussi vendre moins cher à un repreneur en qui il croit. Madame S. choisit le seul repreneur ayant organisé un dîner avec les conjoints… et ce n’était pas la meilleure proposition financière.


Leçons :
un cédant doit être préparé psychologiquement à « l’après ». Ecoutez-le, posez-lui des questions, et essayez ainsi d’identifier s’il a des projets.

Le prix n’est pas le seul critère. Il faut comprendre pourquoi le cédant veut vendre, dans quelle logique il est. Dans la transmission, l’argent n’est jamais le seul critère. La confiance humaine pèse souvent plus lourd. En revanche, attention, si un cédant n’est intéressé que par l’argent : laissez tomber !

La négociation : là où une phrase peut tout faire capoter

Pendant la phase de discussion, le cédant et le repreneur vont au restaurant. Après quelques bons verres, le repreneur laisse exprimer ses convictions : « Les chasseurs, c’est tous des c…. !  » Ah, mauvaise pioche, le cédant était un chasseur passionné, digne héritier d’une lignée de chasseurs… Les négociations se sont arrêtées net.

Leçon : la négociation est loin de n’être que financière. Elle est également émotionnelle et culturelle. Négocier une entreprise, c’est tout sauf cartésien.

Pour Pascal Ferron  : « On négocie mal pour soi-même. Sur les points durs de la négociation, laissez faire vos conseils. Et surtout, à l’achat, ne les rémunérez jamais au success fee, sinon vous aurez toujours un doute : vous conseillent-ils d’acheter parce que c’est un beau dossier, ou parce qu’ils veulent toucher leur pourcentage ? »

Quand le stock de pneus est inutilisable

Lors de l’audit d’une PME automobile, le repreneur découvre un stock colossal de pneus tous neufs… totalement inutilisables. Aucun ne correspond aux véhicules utilisés à l’actif.

Leçon : un audit doit porter sur la qualité, pas seulement sur la quantité. Les audits d’acquisition ne révèlent jamais tout : malgré les analyses financières, juridiques ou environnementales, on ne découvre vraiment l’entreprise qu’en la dirigeant.

La garantie de passif elle-même ne couvre pas tous les risques, et ne vous exonère surtout pas de réaliser un audit. Celui-ci devra avoir lieu le plus tard possible, car il a un coût, et il faut éviter à tout prix de le diligenter pour… rien…

Quand le repreneur fixe un ultimatum aux banques

Monsieur D. mène son process bancaire tambour battant. Lassé de la lenteur des établissements, il fixe une deadline ferme : seules les banques qui répondent dans les temps financeront son projet. Résultat : il obtient son montage plus vite que prévu.

Leçon : il a eu bien raison. Le repreneur doit piloter activement son financement. Face au banquier, il doit venir seul. Le repreneur doit incarner sa vision, convaincre par sa personnalité et son business plan. Et n’hésitez pas à solliciter 15 ou 20 banquiers. Si vous n’allez en voir que trois, vous aurez peu de chances d’obtenir votre financement. Et vous pourrez avoir besoin de plusieurs banques pour le boucler.

Le closing : l’instant où il ne faut jamais se relâcher

Au fin fond de la France, le deal va être signé. Le stylo dans la main, une interrogation traverse le cédant : « Au fait, cela ne va pas vous gêner de venir habiter ici ? ». Et le repreneur, tout égayé par une bouteille de champagne débouchée trop tôt, de répondre avec franchise : « Ah mais non, je vais essentiellement gérer depuis Paris ! » Le cédant a reposé son stylo.

Une autre : le cédant avait mis dans les conditions de la reprise que le repreneur devait garder sa fille, comptable à mi-temps, à 90 000 euros. Le repreneur a émis une petite réserve : « C’est un peu cher quand même… ? » Opération terminée.

Leçon : il ne faut jamais relâcher sa vigilance, et rien n’est sûr tant que l’encre n’est pas sèche. Le closing demande un sang-froid absolu jusqu’à la dernière minute.

Le salarié en arrêt maladie depuis 5 ans revient… après la reprise

À peine la reprise actée, un salarié se présente pour reprendre son poste. Personne ne l’avait évoqué : il était en arrêt maladie depuis cinq ans.

Leçon : vous devez anticiper les surprises post-reprise, même celles qui semblent improbables. En effet, après la reprise, vous allez découvrir les mauvaises nouvelles ; les bonnes nouvelles, le cédant vous les a « vendues » lors des négociations !

Les premières semaines révèlent aussi une autre réalité : la solitude du dirigeant. Contrairement à une grande entreprise, dans une PME, celui qui décide est aussi celui qui fait appliquer les décisions. Ce face-à-face avec soi-même est un apprentissage majeur du repreneur.

Ces anecdotes montrent que la reprise est autant une aventure humaine qu’un projet entrepreneurial. Elle exige de la lucidité, de l’écoute, de la patience, mais aussi une grande capacité à gérer l’imprévu. Chaque repreneur traverse des moments de doute. Ce sont ces instants qui forgent l’expérience et transforment un candidat à la reprise en véritable chef d’entreprise.

Selon Pascal Ferron, pour réussir, ayez une stratégie d’approche globale du projet de reprise : « Un projet de reprise exige une véritable stratégie globale. Stratégie personnelle d’abord : quel est le projet de vie pour la famille ? Stratégie de prise de risque ensuite : quel montant investir, accepter ou non une caution personnelle ? Stratégie de recherche de l’entreprise à reprendre : comment trouver des cibles, des entreprises que le repreneur pourra développer ? Stratégie de négociation : comment aborder le cédant, et ses conseils ? Stratégie post-reprise enfin, qui doit être la clé de la décision de reprendre : le repreneur a-t-il les atouts pour développer l’entreprise ?  »

Pour Stéphane Meunier  : «  Un projet de reprise demande de la rigueur et de la motivation. C’est un parcours en dents de scie avec des phases euphoriques et des phases où il ne faut surtout pas se décourager lorsque des négociations peuvent échouer. Trois mots d’ordre pour réussir ce parcours : Patience, un projet de reprise prend entre un et deux ans. Ecoute : le cédant choisit son repreneur, adaptez votre proposition à ses attentes. Humilité : le repreneur, souvent issu d’un grand groupe, doit prendre conscience du décalage qui existe avec un dirigeant de TPE/PME, souvent autodidacte et très opérationnel. »

Visuel de Une ©Walter France