La directive CSRD : (...)

La directive CSRD : entre défis et opportunités pour le secteur de l’assurance


Par LEMAIRE Yllona
Étudiante Master 2 Juriste d’affaires
Membre ANEJA et AFJE06

Parution dans le cadre du cycle d’étude "Droit des assurances approfondi - L’assurance face à la décarbonation"


Comme l’avait justement intégré France Assureurs dans sa cartographie prospective (1), l’année 2024 est marquée par une intensification de la gravité des risques, et corrélativement, par un accroissement de la pression réglementaire pesant sur les assureurs.


En effet, le secteur de l’assurance n’a pas échappé à l’entrée en vigueur, le 1er janvier dernier, de la Corporate sustainability reporting directive (CSRD) (2), succédant à la Non Financial Reporting Directive (NFRD). Est en outre désormais imposée l’élaboration d’un reporting extrafinancier à 50 000 entreprises, quand seulement 10 000 d’entre elles étaient auparavant concernées.
Dans sa dimension environnementale, la problématique du reporting est simple ; comme le résume Michèle Lacroix, membre de la Commission Climat et Finance Durable (CCFD) de l’AMF : « pour piloter l’empreinte carbone, il faut être capable de la mesurer. Et pour la mesurer, il faut pouvoir collecter de l’information fiable auprès des entreprises » (3). Pour autant, si la modélisation précise du risque climatique grâce à des indicateurs fiables et comparables est nécessaire et préalable à une réglementation adaptée, il est paradoxalement impossible de modéliser celui-ci avec précision.

Au regard de la pluralité des champs d’activités couverts par les professionnels du secteur de l’assurance, calculer leur empreinte carbone est une tâche fastidieuse qui nécessite la collecte et le traitement de données dites « vertes » sur l’ensemble des contributeurs à leur chaine de valeur.

Si les assureurs ont depuis longtemps intégré les défis posés par le changement climatique et les risques associés sur leurs activités, la directive CSRD introduit une nouvelle dimension en exigeant une transparence accrue quant à l’impact de leurs actions sur l’environnement.
Au cœur de cette nouvelle directive se trouve ainsi le concept de double matérialité. Cela signifie en outre qu’une entreprise ne peut plus simplement se limiter à rapporter l’impact financier que représente pour elle l’intégration des facteurs sociaux et environnementaux, mais doit à présent prendre en considération les répercussions de sa propre activité sur l’environnement.
En raison de son poids financier significatif, la coopération du secteur de l’assurance est primordiale pour une politique environnementale efficace. Cependant, même si les premiers reportings ne seront pas publiés avant 2025, il semble déjà que les normes qui en découlent ne s’adaptent que partiellement aux spécificités de ce secteur.

La directive CSRD, s’appuyant sur les standards européens d’information de durabilité (ESRS), a introduit douze normes spécifiques, comprenant deux normes transversales et dix thématiques, couvrant les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Parmi celles-ci, cinq normes se concentrent sur l’environnement. La première d’entre elles, la norme ESRS E1, liée au changement climatique, porte sur des données à déclarer dont la majorité sont de nature « quantitatives  » et non «  qualitatives », rendant celles-ci plus difficiles à établir.

Parmi les neuf exigences de publication intégrées à la norme ESRS E1, figure l’élaboration d’un bilan carbone intégrant 3 scopes. Toutes les émissions doivent ainsi être prises en compte, depuis les émissions directes (scope 1), les émissions auxquelles l’entreprise contribue (scope 2), et jusqu’aux émissions produites par les tiers impliqués dans la création de valeur (scope 3) (4). Sont alors comprises les émissions des projets assurés ou encore celles générées lors de la gestion des sinistres, à l’image des émissions liées à une dépanneuse ou une voiture de remplacement dans le cadre d’un sinistre automobile. Autant de paramètres venant aussi bien rallonger la liste des données dont la disponibilité est cruciale pour les assureurs, que mettre en exergue la difficulté pour ces derniers d’accéder à des données sur lesquelles ils n’ont pas directement la main.
Il est pour cela difficile de concevoir qu’un chiffrage exact puisse être établi. Les normes élaborées par l’EFRAG, organisme public mandaté pour édicter les standards de reporting, devraient pour cela être ajustées afin d’intégrer les besoins des institutions financières selon un calendrier modifié (5). Dans l’immédiat, et en raison de la complexité de sa mise en œuvre, il a été décidé de rendre la norme ESRS E1 non obligatoire par la création d’un dispositif permettant aux entreprises de justifier sa non-pertinence au regard de leur activité. Il semble alors regrettable que cette norme, dont le respect touche à l’essence même de la directive, puisse faire l’objet d’une exonération de la part des entreprises.
Tout ceci risque inévitablement d’altérer la qualité des données relatives aux émissions de gaz à effet de serre des entreprises composant notamment les portefeuilles des assureurs, impliquant le maintien d’une part d’approximation et de disparités d’application. Le principe de qualité et d’exactitude des données, présent dans le reporting financier, trouvera ainsi difficilement son équivalent dans le cadre de la communication extra-financière telle qu’imposée par la directive CSRD.

En tout état de cause, il est important de garder à l’esprit que malgré les défis posés par l’application de cette nouvelle directive, les entreprises n’en demeurent pas moins encouragées à adopter une vision à long terme et à rendre compte de l’impact de leur activité sur l’environnement. De même, plusieurs standards d’évaluation et de divulgation des émissions de gaz à effet de serre associées aux prêts, investissements et produits d’assurance ont été élaborés par des institutions financières (6) et peuvent être suivis par les entreprises selon leur bon vouloir.


Le Parlement européen venant d’adopter, le 28 février 2024, une directive visant à lutter contre le greenwashing (7), cette année riche en règlementation offrira certainement une occasion d’observer la capacité des assureurs à faire face au risque règlementaire alors même que la gravité des risques assurés est déjà globalement en train d’augmenter.
Les enjeux environnementaux font partie des défis contemporains auxquels le secteur assurantiel est continuellement confronté. Il reviendra à ses acteurs de saisir l’opportunité de progresser vers une gestion plus durable de leurs activités et de renforcer encore un peu plus leur crédibilité auprès des investisseurs, des clients, mais également de la Société. La directive CSRD pourrait alors ouvrir la voie à une réflexion plus approfondie sur le rôle des assureurs dans la transition vers une économie décarbonée et plus résiliente aux changements climatiques.


Références de l’article

1) France Assureurs, Cartographie prospective 2024 de l’assurance
2) Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE
3 ) Argus de l’assurance, Évaluer l’empreinte carbone à l’heure de la directive CSRD
4) Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022, (31), p. 11
5 EFRAG, Sustainability reporting Work program for 2024, (34), p.5
6 PCAF, Global GHG Accounting and reporting standard for the financial industry
7 Directive (UE) 2024/825 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2024 modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE

Visuel de Une : ©DR

deconnecte