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Le désengagement des assureurs dans l’industrie du charbon : illusion ou réalité ?

2023 marque une année record pour la consommation de charbon : la demande mondiale a atteint 8,53 milliards de tonnes cette année a annoncé l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vendredi 15 décembre dernier.
Pourtant, le charbon, dont la combustion produit une forte quantité de CO2, contribue à la pollution et aux changements climatiques. Dès lors, et afin de remplir l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, de nombreux pays aspirent à un avenir plus durable et tendent à se désengager de cette industrie néfaste pour l’environnement.


Par Audray Cristiano,
Étudiante en Master 2 Droit des affaires parcours Juriste d’affaires, Université Côté d’Azur
Membre ANEJA et AFJE06
Parution dans le cadre du cycle d’étude "Droit des assurances approfondi - L’assurance face à la décarbonation"

Cette politique de désengagement est également adoptée par le secteur financier, notamment par les acteurs assurantiels. En effet, la transition environnementale pousse les assurances à adopter des engagement environnementaux forts. Parmi eux, celui d’abandonner l’industrie du charbon qui prend de l’ampleur depuis quelques années déjà.
L’exclusion de ce type d’industrie dans le portefeuille de la société assurantielle fait notamment partie des critères à respecter pour obtenir le label Greenfin, encadré par un décret n°2023-1180 du 13 décembre 2023 qui fixe la liste, les modalités de délivrance et les critères des labels reconnus par l’État au titre du financement de la transition énergétique et écologique ou de l’investissement socialement responsable (1).

Dans ce contexte, en juillet 2021, 15 groupes d’assurance représentant 73% du marché prévoient une date de sortie du charbon en Europe d’ici 2030. Par ailleurs, 17 groupes d’assurance représentant 87% du total des actifs gérés par les assureurs français prévoient une date de sortie du charbon à l’horizon 2030 ou 2040, ou un abaissement progressif des seuils d’exclusion de leurs politiques, afin de tendre vers une sortie du charbon (2).

En France, la compagnie CNP Assurances a pris des engagements forts en début d’été 2020 : se désengager à 100% de l’industrie du charbon. Ce désengagement passera d’abord par un désinvestissement progressif des entreprises dont plus de 20% du chiffre d’affaires est lié au charbon, et ensuite par l’exclusion de certaines entreprises de leur portefeuille.

Ainsi, sur le papier, le secteur de l’assurance a pris de nombreux engagements relatif à une sortie de l’industrie du charbon. Mais qu’en est-il réellement ?

Si les assureurs prennent effectivement des mesures de désengagement vis-à-vis de l’industrie charbonnière, ce désengagement peine encore à s’affirmer. En effet, selon un rapport de Public Citizen et du collectif d’ONG Insure Our Future sur 25 mines de charbon aux États-Unis, plusieurs sociétés assurantielles américaines et européennes continuent d’assurer les producteurs de charbon. Une grande partie de ces assurances a pourtant publié des politiques de sortie du charbon, certaines ayant même participé à la création de la «  Net zero insurance alliance » (NZIA), l’association des assureurs pour la neutralité carbone. C’est le cas des Américains AIG et Liberty Mutual, du britannique Lloyd’s of London et des Suisses Swiss Re et Zurich. Hormis la Lloyd’s of London, chacune de ces assurances ont mis en place des politiques de restriction sur les activités liées au charbon.

Pour autant, selon une autre enquête du collectif Insure Our Future en 2022, 41 grands groupes d’assurance ont effectivement pris des restrictions quant à la couverture de la filière du charbon, soit douze de plus que l’année précédente. C’est le cas d’Allianz ou encore de Swiss Re.
En 2023, ce chiffre a augmenté pour passer à 45 compagnies d’assurance. Insure Our Future indique par ailleurs que les restrictions mises en place par les assureurs concernant l’industrie du charbon sont plus élevées que celles concernant d’autres industries comme le pétrole ou le gaz (3).
Ainsi, les sociétés charbonnières connaissent de plus en plus de difficultés pour obtenir une couverture assurantielle de leurs activités. La rareté des assurances a entraîné des augmentations exorbitantes des primes, les tarifs de l’assurance sur le charbon thermique ayant fortement augmenté ces dernières années.
Dès lors, les sociétés charbonnières vont s’adapter en mettant en place des stratégies.
Elles vont d’abord choisir de se tourner vers l’auto-assurance. Certaines entreprises, notamment Seriti Resources et Thungela Resources, ont ainsi choisi de mettre de côté des capitaux considérables pour s’auto-assurer (4), en créant leur propre société d’auto-assurance, soit des captives d’assurance, combinant leurs ressources avec des compagnies d’assurance individuelles et des réassureurs. Cette solution leur permet de mieux gérer les risques tout en
préservant leurs activités.
Ensuite, certains producteurs de charbon ont trouvé des opportunités dans d’autres régions du monde. En effet, les assureurs des pays asiatiques semblent plus disposés à soutenir les entreprises charbonnières que les assureurs européens, actuellement confrontés à des réglementations plus strictes.
Récemment, le sujet des énergies fossiles, dont le charbon, a été abordé durant la COP28 qui s’est tenue à Dubaï. Ainsi, les pays ont approuvé une feuille de route pour « s’éloigner » progressivement des énergies fossiles, une première dans l’histoire des conférences sur le climat de l’ONU. En effet, jusqu’ici, les énergies fossiles n’avaient jamais figuré dans les déclarations finales d’une COP.

Reste que le texte final ne parle pas de « phase out » (suppression progressive), mais de « transitionner hors des énergies fossiles ». Dès lors, si l’accord est historique, aucune sortie radicale du charbon n’est textuellement prévue. Le risque serait alors que cette faille de l’accord soit exploitée par les assureurs dans leurs politiques de désengagement.


Références de l’article
1 Décr. nº 2023-1180, 13 décembre 2023, fixant la liste, les modalités de délivrance et les critères des labels mentionnés à l’article L. 131-1-2 du code des assurances
2 France Assureurs, Assurance et finance durable – Chiffres clés 2020, 2021
3 Insure Our Future, « 50 Years of Climate Failure : 2023 Scorecard on Insurance, Fossil Fuels and the Climate Emergency », nov. 2023
4 CoinUnited.Io

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