Les risques liés au (...)

Les risques liés au non-respect des conditions du cumul entre le mandat du gérant et du contrat de travail

La Cour de Cassation a rendu une décision le 27 septembre 2017 (Cass. Soc. 27 septembre 2017, n°16-17619) qui doit amener les gérants des SARL à faire preuve d’une très grande vigilance dans la répartition des fonctions de gérant et celles de salarié.

Par Maître Emilie VOIRON, Avocate au Barreau de Grasse, Associée Cabient Harmonia Juris

En effet, la Cour de Cassation a rejeté la demande de rappel de salaires de l’épouse du gérant qui occupait un poste de secrétaire commerciale considérant qu’elle n’avait pas été dans un rapport de subordination avec sa société.
Les juges ont considéré qu’elle s’était comportée comme une gérante de fait.
Cette décision implique une mise au point sur les conditions du cumul de statuts (dirigeant/salarié) et des risques encourus quant à la reconnaissance de la gérance de fait, risques qui sont beaucoup trop souvent minimisés et qui peuvent pourtant emporter d’importantes conséquences financières. En effet, au-delà de l’absence de reconnaissance du statut de salarié pour le gérant de droit, l’épouse du gérant peut se voir reconnaître la qualité de gérante de fait et être poursuivie pour faute de gestion au même titre que le gérant de droit.
La loi ne prévoit aucune incompatibilité entre la qualité de gérant d’une SARL et celle de salarié. Quels sont les risques encourus par un salarié lorsqu’il s’immisce dans la gestion ?

Aucune incompatibilité

En pratique le gérant peut souhaiter bénéficier des droits attachés à la qualité de salarié. Ceci n’est possible que pour le gérant non associé ou minoritaire.
Il est à noter que la simple affiliation au régime de sécurité sociale des cadres n’est pas suffisante pour prétendre au statut de salarié. Par ailleurs, il a lieu de respecter les conditions de validité du contrat de travail pour bénéficier du statut de salarié.

Cas où le gérant peut vouloir solliciter la reconnaissance de son statut de salarié

- La société met fin au mandat social mais le gérant révoqué estime qu’il n’a pas été mis fin à ses fonctions techniques et qu’il doit dans ce cas bénéficier des indemnités afférentes à la rupture du contrat de travail. En effet, la révocation du mandat social n’est pas soumise au respect de la procédure de licenciement et ne donne droit à aucune indemnité ni prise en charge au titre de l’assurance chômage.
- Afin de percevoir des salaires correspondants aux fonctions techniques non rémunérées,
- Afin d’échapper à la qualification de gérant de fait.

Conditions de validité du cumul de la qualité de gérant et du statut de salarié

Outre le caractère effectif de l’emploi, la jurisprudence a fixé les critères suivants :
- Le contrat de travail implique l’accomplissement de fonctions techniques distinctes de celles exercées dans le cadre du mandat social (1)
- Ces fonctions techniques distinctes sont rémunérées de manière distincte de la rémunération éventuellement perçue en vertu du mandat social de gérant (2)
- L’intéressé exécute ces fonctions techniques distinctes dans le cadre d’un lien de subordination c’est-à-dire selon les directives et le contrôle de la société (3).

  • 1- La reconnaissance des fonctions techniques distinctes ?
    Le gérant, en sus, de son mandat doit s’être vu confié des attributions spécifiques, distinctes de celles découlant du mandat social.
    Il est important que cette séparation soit clairement identifiée. (Cass. soc. 21-10-1982, n° 80-17.265). C’est pourquoi la rédaction d’un contrat de travail et un positionnement clair du gérant ou de l’épouse du gérant doivent être prévus.
    Cette exigence ne fait pas obstacle à ce que des fonctions salariées de direction lui soient confiées. Il est vrai que la distinction entre gérance et direction (commerciale, générale, technique etc…) est souvent difficile à identifier en pratique mais des solutions existent pour sécuriser ce schéma d’organisation.
    La jurisprudence rejette la réalité du contrat de travail lorsqu’il y a confusion entre les fonctions techniques et l’objet social de la société ce qui est régulièrement le cas dans les petites entreprises. Les juges considèrent que la dimension réduite de l’entreprise empêche toute distinction entre les fonctions techniques alléguées et les fonctions de gérant.
  • 2 - Le salaire doit être versé séparément de la rémunération de gérance qui, elle, est décidée par les associés en début d’exercice.
    En effet, il faut rappeler que l’exercice du mandat de gérant peut être gratuit.
    Ainsi, il faudra être particulièrement vigilant sur la réalité des fonctions techniques car les juges seront peu enclins à reconnaître l’existence d’un salaire et considéreront qu’il s’agit d’une rémunération déguisée de la gérance. (Cass. soc. 1-12-1993 n° 91-42.288)
    La seule remise d’un bulletin de salaire ne suffit donc pas.
    De même, le fait pour un gérant de renoncer à sa rémunération en raison des difficultés économiques de la société est souvent considéré comme excluant la qualité de salarié. C’est un des éléments qui a conduit la Cour de cassation, dans son arrêt du 27 septembre 2017, à exclure la qualité de salarié pour l’épouse du gérant.
    En effet, en l’espèce, cette dernière n’avait jamais sollicité la moindre demande de salaire pendant l’exécution du contrat mais l’a fait après la mise en liquidation judiciaire de la société. Les juges ont considéré qu’en agissant ainsi, elle avait exercé les fonctions de gérant de fait incompatibles avec un quelconque lien de subordination.
  • 3 - Comment établir un lien de subordination ?
    Ceci signifie que le gérant, dans le cadre de ses fonctions distinctes de celles de son mandat social, agisse sous l’autorité de la société c’est-à-dire des associés et soit contrôlé dans l’accomplissement des missions techniques confiées. (Cass. soc. 15-2-2012 n° 10-19.803 ; Cass. soc. 21-7-1981 n° 80-11.672)
    Ce lien de subordination ne se limite pas aux seules directives émanant des autres organes de la société (assemblée des associés) qui ne concernent que l’activité de mandataire, ce qui signifie qu’il conviendra de faire la différence entre le contrôle de la gérance et le contrôle du travail salarié.
    L’intéressé doit rendre des comptes sur son activité technique et doit recevoir des instructions précises, ce qui est particulièrement difficile à
    établir quand le gérant est le seul détenteur des compétences techniques.

Quelles précautions prendre ?

- Rédaction d’un contrat et d’une fiche de fonctions reprenant les caractéristiques d’un poste correspondant à la grille de classification applicable ;
- Respect de la procédure des conventions réglementées définie à l’article L 223-19 du code de commerce. En effet, les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre une SARL et l’un de ses gérants ou associés entrent dans le champ d’application de la procédure des conventions réglementées ;
- Paiement régulier d’un salaire correspondant au niveau des minima conventionnels ;
- Porter une attention particulière sur la répartition des rôles.

En conclusion, la présence dans l’entreprise et le rôle de chacun doit être défini avec précision.
En effet, en l’absence de fonctions techniques précises, le gérant se verra exclu du statut de salarié.
En outre, toute personne, et notamment l’épouse du gérant, qui participe, même de manière occasionnelle, à l’activité de l’entreprise, sans que cette
présence soit formalisée et encadrée ne permettra pas à l’intéressé de bénéficier du statut de salarié et des éventuels rappels de salaires ou des indemnités chômage.
De plus, l’intéressé pourrait être poursuivi pour faute de gestion en cas de liquidation judiciaire de la société et être condamné à titre personnel en comblement du passif social alors même que la personne n’a jamais eu, ni mandat, ni contrat de travail.
Enfin, l’URSSAF pourra poursuivre la société pour travail dissimulé.

Photo de Une : Émilie Voiron, Avocate associée du Cabinet Harmonia Juris, aux côtés de Maître Gilles Balaguero. (DR)

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