
Un faux site d’information usurpe l’identité de journalistes français
- Par Jean-Michel Chevalier --
- le 1er septembre 2025
Un faux site d’information usurpe l’identité de journalistes français, dans ce qui s’apparente très fortement à une campagne d’ingérence prorusse.
Un mode opératoire jusqu’ici relativement inédit
L’identité de journalistes français est désormais usurpée dans de faux sites d’info au service de campagnes de déstabilisation. C’est ce qu’ont récemment décelé franceinfo et Streetpress, partant d’une fausse information reposant sur les théories complotistes transphobes sur Brigitte Macron, pour mettre à jour ce qui a tout d’une campagne d’ingérence pour le compte de la Russie.
Au-delà de l’article sur le prétendu décès d’un chirurgien en lien avec les rumeurs sur Brigitte Macron, ce sont des dizaines d’autres, « signés » en usurpant l’identité de vrais journalistes, qui sont publiés à un rythme quotidien. Les six personnes dont l’identité est volée sur le site « enquetedujour.fr », actuellement toujours accessible, ont pour point commun de travailler de manière plus ou moins régulière pour Streetpress.
« C’est préoccupant de voir la fragilité de mon identité numérique »
« On s’est rendu compte qu’ils ont pris les auteurs d’une succession d’articles publiés à un instant T sur notre site, explique Mathieu Molard, co-rédacteur en chef du média. Les photos utilisées sont aussi les celles des fiches auteurs de Streetpress ». Si la plupart des contenus du faux site ne sont que des simulacres d’articles d’actualité classiques, mais générés par IA, c’est bien celui sur Brigitte Macron qui est au cœur de cette campagne de désinformation. Audrey Parmentier, journaliste pigiste, apprend mercredi dernier que son identité a été usurpée lorsque les journalistes qui enquêtent sur le sujet la contactent via un message sur X. « J’ai vu non seulement leurs messages, mais aussi ceux d’autres personnes qui me signalaient l’usurpation d’identité ou me demandaient si c’était bien moi qui avais écrit cet article, dont des personnes que je ne connaissais pas », raconte-t-elle.
La journaliste s’inquiète particulièrement des conséquences sur sa réputation professionnelle. « Ça a été la première question que je me suis posée : est-ce que ça va impacter mon travail, est-ce que ça va impacter la façon dont mes employeurs vont collaborer ou non avec moi ? Quand tu es à ton compte, ton travail repose sur ta réputation ou sur les articles que tu as écrits précédemment. C’est préoccupant de voir la fragilité de mon identité numérique ». Les enjeux sont similaires pour Streetpress, indirectement associé à cette campagne. « Le fait d’avoir son identité liée à une fake news nuit à la réputation du média, à la réputation des journalistes. On a décidé d’apporter une réponse journalistique [en publiant un article], pour rapidement identifier qui se cachait derrière et être en mesure d’apporter des informations fiables sur toute cette histoire », développe Mathieu Molard.
Quels moyens d’action pour les journalistes ?
Pour tenter d’agir directement sur l’accessibilité de ce site d’information frauduleux, l’avocate du média travaille actuellement sur une action en justice. « Le problème est que ces gens sont sûrement basés en Russie, qui ne coopère pas avec la justice française », regrette le co-rédacteur en chef, qui fait savoir qu’une plainte va être déposée au pénal, « tout en sachant qu’elle n’aboutira pas ». Streetpress espère plutôt pouvoir contraindre les acteurs européens de déréférencer ce site, et de rendre ses articles inaccessibles. Le média va pour cela recevoir l’appui de l’ONG Reporter sans frontières, déjà confronté à des problématiques similaires. « Il y a des moyens d’action, mais en tout état de cause cela génère des coûts supplémentaires, et du temps perdu », déplore Mathieu Molard.
Expliquant se sentir « assez vulnérable » devant le manque de leviers à sa disposition pour enrayer cette usurpation, Audrey Parmentier a adressé des signalements à Pharos, plateforme gouvernementale de signalement des contenus illicites en ligne, ainsi qu’à sur Meta et X. Elle n’a pour le moment pas porté plainte, dans l’attente de la procédure portée par Streetpress. « Comme je suis pigiste, je n’ai pas d’argent et de temps à mettre dans une action judiciaire », explique-t-elle. « Le fait que des confrères ou consœurs aient traité le sujet a tout de même d’une certaine façon permis de me dédouaner, car je n’ai aucune preuve tangible que ce n’est pas moi qui ai écrit cet article ».
Une campagne d’ingérence identifiée
Comme il l’a été confirmé à Streetpress, le site en question fait partie d’une campagne plus large, identifiée par les services gouvernementaux comme l’opération Storm-1516, et décrit comme un « dispositif d’influence informationnelle russe » par Viginum, organe spécialisé dans la lutte contre les ingérences numériques. « On suppose que tous les articles générés par IA sont en fait un écrin pour l’article lié aux rumeurs sur Brigitte Macron. L’objectif est de le rendre viral, notamment via des faux comptes sur les réseaux sociaux, et que les lecteurs qui naviguent sur le site croient à un média sérieux », expose Mathieu Molard.