Chronique littéraire (...)

Chronique littéraire : histoire piteuse d’une armoire voyageuse

Je m’en vais vous parler du livre le plus irritant
de cette rentrée littéraire. Si, si, et n’allez
pas me dire que c’est parce que ma rédactrice
en chef chérie et désargentée m’a pris
de court ou pour quelque autre raison peu
avouable. Non non, cela fait deux semaines
que je rumine cette chronique et quand j’utilise
ce terme renvoyant à la vache, ceux
qui sont déjà tombés dans le piège de cette
chose écrite se gaussent déjà : vous voyez,
je fais dans la référence cryptée.

L’auteur de cet ovni littéraire se fait nommer
Romain Puertolas et surtout se fait inviter sur
les plateaux télévisés les plus recherchés
pour dire, en deux mots, qu’il écrit pour se
détendre, comme on fait des mots croisés
mais que juste, aligner des vannes de potaches
dans un texte vaguement grammairisé
le fait rire en plus. Ce qui fait espérer au
spectateur que lui aussi va rire et, ma fois,
par les temps qui courent, ce serait déjà ça
de pris sur l’ennemi.

Nenni, lui dis-je, au potentiel lecteur. Tu ne
riras point. Tu te demanderas pourquoi avoir
investi le prix d’un bon repas chez Madame
Gisèle pour… Ça ? Tu n’iras au bout de cette
imposture littéraire que pour vérifier que cela
reste aussi nul jusqu’à la fin. Tu le refileras
ensuite à la concierge qui t’empoisonne tous
les jours avec son tri sélectif ou à ta belle-mère
qui vient de se remeubler chez Conforama
pour qu’elle s’instruise sur les subtilités d’une
promenade commerciale chez Kikekoi et qui
sait, le côté bluette au 36ème degré de cette
chose jaune et bleue lui tirera quelques larmes
dont tu pourras ensuite te gausser. Ou peutêtre,
oui, c’est ça, l’objet a juste la grosseur
de ce qu’il te fallait pour caler la commode de
la tante Emma qui vient de perdre un de ses
pieds mangé par les rats. Ou les vers.

Bon, arrêtons d’en faire, des vers (haha !)
pour résumer l’histoire. Un Fakir se fait payer
le voyage en France pour venir acheter
chez Kikekoi un vrai lit de fakir à 15.000
clous (oui le modèle qui a moins de clous est
en fait plus cher, ça nous fait un chapitre),
escroque un chauffeur de taxi gitan au passage
(attention ! référence d’actualité !),
s’éprend d’une belle française qui s’appelle
Marie, voyage involontairement en armoire
avec des réfugiés africains (référence géopolitique
 !), rencontre une actrice nommée Sophie
Morceaux qui porte des petites culottes
de soie et réserve tout un étage d’un palace
à Rome pour dormir tranquille (acerbe critique
sociale !) et se fait éditer par un rigolo
qui lui fait une avance de cent mille euros
pour un début de roman écrit dans le noir
avec un crayon Kikekoi sur une chemise
blanche. Voilà, maintenant vous pouvez en
parler dans les dîners en ville sans l’avoir lu.

A l’époque où on relit enfin Ubu Roi dans les
écoles (ce qui ne devrait pas vous empêcher
d’en reprendre un peu, voilà de l’humour potache
qui vous bidonnera), l’éditeur de cette
entreprise post-décadente aura pensé surfer
sur l’humeur du temps. Il semble avoir eu
raison, ça se vend comme des petits pains.
Les temps sont difficiles ! (ah vous pouvez
aussi relire les chansons de Léo Ferré, somptueuses,
qui viennent de ressortir en livre,
dont personne ne parle).

Bref, on est estomaqué par le défaut de sens,
par l’ineptie, par la goujaterie de l’ouvrage
(on ne va quand même pas dire « oeuvre »)
et on tremble de voir ce pudding faire des
petits, de l’émulation dans l’insignifiance –
houlà ! Où va la littérature.

Et dire que ce ramassis de jeux de mots à la
c... passe pour la « révélation » de l’année,
est le « chouchou » des libraires (chouchou
sur la côte Atlantique se dit d’un beignet immonde
et bien gras) et caracole en tête des
classements de ventes. Une chose est sûre : le
ticket d’entrée en littérature vient de subir une
baisse dramatique. Et dites-vous bien : moi
aussi je peux écrire un truc comme ça à la
cantine pendant les pauses déjeuner et je vais
donc être célèbre et passer faire le modeste
chez Ruquier. Mais quid si nous sommes cent
et mille (relire Aragon) ? Beurck !

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