Chronique littéraire (...)

Chronique littéraire : Tout est bon dans le cochon !

Gardez-vous ! Bien sûr je ne transformerai
pas cette rubrique en critique gastronomique.
Mais le mot « cochon » revient tellement
souvent dans le livre de Marcela Iacub,
le livre dont tout le monde parle, qu’il n’est
que justice qu’on en fasse un titre, même si le
jeu de mot peut paraître facile.

Mais à proprement parler, ce n’est pas un
jeu de mots. Marcela Iacub, en effet, nous
livre ici un plaidoyer littéraire en faveur, oui,
vous avez bien lu, en faveur du droit d’existence
du cochon qui dort en chaque homme.
Reprenons du début. Marcela Iacub est une
juriste, éventuellement sociologue, qui s’est
distinguée par des titres qui doivent à eux
seuls vous éclairer sur le sens de sa pensée :
« le crime était presque sexuel », « une société
de violeurs », « par le trou de la serrure »,
« aimer tue »….. Bref, elle se préoccupe en
priorité de cette forme de violence que représente
la sexualité humaine.

Après l’affaire du Sofitel, et en concomitance
avec l’affaire du Carlton, il vient donc à
l’idée de Marcela Iacub de vouloir en savoir
plus sur le fonctionnement de ce personnage
à stature internationale qui a failli conquérir
l’Elysée en 2012. Sitôt fait : elle contacte
l’individu en question par email et il s’ensuit
immédiatement une liaison de six mois, dont
le livre s’efforce à faire la chronique. Criante
de banalité, la liaison, si ce n’était la manière
dont l’auteure l’emballe dans une narration
qui jongle entre l’onirique et le terre-à-terre.
Le personnage en question n’est jamais cité
par son nom, mais bien naïf celui qui ne le
reconnaîtrait pas – d’ailleurs il s’est payé le
luxe, au cas où une âme égarée ne l’aurait
pas reconnu à ses prouesses, de se rendre
reconnaissable en faisant par voie judiciaire
insérer un encart dans le bouquin disant bien
que c’est de lui qu’il s’agit et qu’il n’en est
pas content. Enfin, c’est ce qu’il dit.
La valse des faux-culs a continué par la publication
de bonnes feuilles et d’une longue
interview de l’auteure dans le Nouvel Observateur,
exercice de voyeurisme journalistique
que son rédac’chef justifie sans rire du fait
qu’après tout il s’agit d’une oeuvre littéraire
de haut niveau et que s’opposer à cette publication
serait un acte de censure et non une
mesure de déontologie journalistique élémentaire.

Ce à quoi on pourrait rétorquer, à
sa rescousse, que même s’il s’agissait d’une
pure enquête journalistique à la Günther
Wallraff, le fait pour une universitaire d’ainsi
donner de son corps serait encore suffisamment
remarquable pour justifier publication.
Mais venons-en à l’oeuvre littéraire. Car
oeuvre il y a, on ne peut pas le nier. Oh !
nous ne sommes pas dans Céline, loin s’en
faut. Mais quand-même : la chose laisse son
lecteur penseur. Du début à la fin, la partie
sexuelle, qui fait d’ailleurs l’essentiel du récit,
est sublimée, rêvée, décharnée. Il est essentiellement
question d’oreille, quand bien sûr
on se doute que c’est d’une toute autre partie
du corps qu’il s’agit, et quand un comparse
enduit de confiture d’orange l’objet de son
désir, il s’agit de sa … main. La référence
au cochon qui symbolise l’énergie virile supposée
du plaignant est plaisante, presque
originale, mais pesante à la longue. L’écriture
est presque onirique, la description de
faits précis reste manquante, mais on nage
dans un rêve entre extase et cauchemar,
et finalement le sujet du livre se révèle être
l’auteure plus que son amant de six mois. On
devine un abîme, un désarroi émotif de celle
qui voudrait aimer mais n’arrive pas à haïr,
qui désire tant mais ne peut accepter, bref,
cette attirance-répulsion de la femme devant
la sexualité virile que nous (re)connaissons
bien, mais qui est ici poussée aux limites de
l’expérience vécue. La symbolisation de tout
ce vécu sexuel qui ne veut pas dire son nom
désamorce cependant l’entièreté du propos.
Comme l’auteure n’arrive pas à s’offusquer,
et comme en même temps elle ne peut faire
croire à son admiration, tout ce qui nous
reste est un désarroi, qui ne trouve pas sa
moindre expression dans l’incertitude totale
dans laquelle elle nous laisse sur la conclusion
 : l’agression finale , toujours sur l’oreille,
est-elle cette fois-ci réelle (et dans ce cas elle
fournirait l’explication et l’origine de cette
symbolique bizarre utilisée tout au long du
livre) ou est-elle, à nouveau, une sublimation
douloureuse d’une banale agression
sexuelle, comme on en croit sans problème
capable le mâle à nouveau en rut dont on
nous parle. Sublime exercice de marketing
politique : pour la promotion de son livre,
Marcela Iacub se promène de plateau en
photographe avec un turban lui cachant
l’oreille – manière de faire subsister le doute
qui donne saveur et consistance à son livre
–rêverie.

Alors, ce livre doit-on le lire ? Je vous dirai :
oui, sans hésitation, mais uniquement si vous
n’y cherchez aucune révélation graveleuse
(vous savez déjà tout, ou vous vous en doutez)
mais simplement une sorte de littérature
expérimentale tout à fait en prise avec notre
époque ou l’écrit, par internet, par les messageries
et autres « réseaux sociaux » reprend
un rôle inattendu d’expression à la portée de
littérateurs amateurs. Car c’est quand-même
de cela qu’il s’agit.

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