Mommy

Mommy

Xavier Dolan avait 20 ans quand il a présenté son premier long-métrage « J’ai tué ma mère » qui avait fait sensation, en 2009, à la Quinzaine des Réalisateurs. Cette année, son nouveau film, « Mommy », était en compétition au dernier Festival de Cannes. Coup de coeur et choc esthétique, cette nouvelle variation sur le thème de la mère, réalisée par l’enfant terrible du cinéma québécois, est un tsunami émotionnel d’une inventivité permanente.

Le cinéaste, gay narcissique, est à tous les postes de son film : réalisateur, scénariste, monteur, producteur, costumier. Il est bien souvent aussi comédien, ce qui n’est pas le cas cette fois, où il laisse la place à deux actrices exceptionnelles (Anne Dorval et Suzanne Clément qui n’auraient pas démérité de Prix d’interprétation féminine) et à un tout nouveau comédien sidérant Antoine-Olivier Pilon dans le rôle explosif d’un jeune ado gravement perturbé.

Le film commence quand sa mère le récupère alors qu’il croupissait dans une institution spécialisée refusant de le garder suite à un incendie dont il est coupable.

« Un nouveau chapitre commence » décrète la mère qui va s’affronter à son fils impulsif et fougueux durant de longs plans dévastateurs.

Plutôt que de le placer, ainsi que la loi le lui permet, dans une institution hospitalière, elle décide de le prendre chez elle. Mais tiendra-t-elle devant ses excès ? Les deux pètent les plombs à qui mieux-mieux, preuve d’une relation oedipienne très chargée. La mère traîne cet ado comme un boulet, du coup elle perd son emploi et ne peut maîtriser les excès de son fils dont les troubles le rendent invivable pour l’entourage. Heureusement une voisine bienveillante s’installe en face et va se lier d’amitié, soudant une relation à trois entre bouffes, danse, fous rires...

A montrer la désagrégation d’un microcosme familial aux élans désaccordés, Xavier Dolan fait passer le spectateur par toutes les émotions possibles dans ce superbe mélo bouillonnant de rage.

Il prend à bras le corps et à bras le coeur son sujet pourtant difficile et semble improviser chaque plan dans une forme de liberté effarante qui évoque le cinéma de John Cassavetes (Faces, Husbands, Gloria). D’une intensité presque intolérable, « Mommy » frappe par son esthétique, son énergie et sa musique toujours adaptée à cette relation délétère mère/fils. Dans un style audacieux et ultra pop, l’écran est en format carré resserré pour montrer l’enfermement des personnages. Mais, parfois des bras écartent l’écran comme pour donner de l’air, ainsi dans une scène de vie rêvée.

Deux formidables comédiennes, vite repérées à la télévision par le cinéaste, font des performances d’actrices époustouflantes en héroïnes à la fois aimantes, maternelles et séductrices. La mère, Anne Dorval, en surrégime permanent, enchaîne ses tirades grossières et fleuries en argot québécois – la lecture des sous-titres est indispensable !- et la voisine, Suzanne Clément, joue en virtuose la parole bègue suite à un traumatisme jamais défini.

Accueilli triomphalement à Cannes, le film pouvait prétendre à la Palme d’or, il a « juste » obtenu le prix du Jury, ex aequo avec « Adieu au langage » de Jean-Luc Godard.

La double récompense a fait figure de symbole unissant le plus jeune cinéaste de la compétition et le plus âgé, deux personnalités qui ont chacun une grande liberté formelle, ce qui peut les réunir.

A la fois mature et juvénile, grave et léger, Xavier Dolan mène sa vie à un rythme infernal, réalisant, avec frénésie et exhibitionnisme, 5 films en 5 années. Aujourd’hui, à 25 ans et de plus en plus mature, il a déjà acquis la réputation de nouveau prodige du cinéma mondial. « Mommy » représentera d’ailleurs le cinéma canadien aux Oscars.

Photo de Une : Mommy- Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon © Shayne Laverdiere

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