Bâtonnat de Grasse : « L’un des projets phares, c’est l’amiable »
- Par Sébastien Guiné --
- le 16 février 2024
Entretien avec Me Fontan-Faron, bâtonnière du barreau de Grasse en 2022 et 2023, et Me Franck Gambini, élu pour 2024 et 2025 et qui entend poursuivre tout le travail réalisé sur l’amiable.
Maître Fontan-Faron, quels ont été les moments forts de votre mandat ?
- Valérie Fontan-Faron : J’ai souhaité dès le départ axer mon mandat sur le développement des modes alternatifs de règlement des différends (MARD). Les juridictions sont très encombrées, manquent de moyens et les décisions rendues ne sont pas toujours totalement satisfaisantes pour les justiciables. Cette vision nouvelle de faire participer les parties à la résolution d’un litige est novatrice et très enrichissante. C’est un changement total de mentalités. On rencontre beaucoup de difficultés pour le développement des MARD mais on est à une charnière. Tout a commencé avec la venue du premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Renaud Le Breton de Vannoise) qui est vraiment un ambassadeur des MARD et qui a réussi à faire naître l’étincelle chez pas mal de confrères. J’ai créé une commission MARD et nous avons énormément travaillé avec le tribunal. Nous avons eu des échanges très intéressants avec la présidente (Emmanuelle Perreux) et les magistrats. Nous avons fait des formations communes. C’est ce qui a notamment conduit le garde des Sceaux à venir au palais de justice de Grasse pour lancer sa politique de l’amiable le 15 janvier 2023. Un deuxième point a été la mise en place, avec le tribunal, des cours criminelles départementales. Il y a eu une réticence certaine du barreau de Nice qui ne voulait pas voir échapper ce contentieux. Mais tout s’est bien terminé. Les cours criminelles sont en place à Grasse et cela se passe bien. Un troisième point fort a été l’organisation des assises régionales du droit de la famille en novembre 2023 avec environ 400 participants. Au-delà de ces événements, ce qui m’a intéressé dans ce mandat ce sont les relations humaines, les relations avec les confrères, ceux qui sont en difficulté, et les relations avec les autres bâtonniers, dans le cadre de la [conférence régionale des bâtonniers et de la conférence des 100, qui réunit les 20 plus grands barreaux de France hors Paris. Ce qui compte ce sont les échanges. C’est intense mais c’est passionnant.
Maître Gambini, quels sont vos projets pour 2024 et 2025 ?
- Me Franck Gambini : Je vais poursuivre les projets initiés par Madame le Bâtonnier Fontan-Faron. Un des projets phares c’est l’amiable. C’est l’avenir. Nous avons la chance d’être un barreau moteur. Nous avons reçu le garde des Sceaux il n’y a pas très longtemps. S’il est venu c’est parce qu’il a conscience que le barreau de Grasse travaille beaucoup sur cette question. Nous avons la chance de travailler avec Mme Perreux, la présidente du tribunal judiciaire, qui est très favorable à l’amiable et avec qui nous travaillons en très bonne intelligence. C’est quelque chose que nous voulons vraiment développer mais il faut trouver des dossiers qui sont adaptés à cette question et il ne faut pas que ce soit quelque chose qui vienne pallier des carences de la justice. Il ne faut pas que cela empêche l’accès au juge. Tous les dossiers ne peuvent pas être réglés à l’amiable. J’ai également beaucoup de projets par rapport au sport. Je souhaite beaucoup de convivialité. Nous avons une profession prenante et ce serait bien que les avocats puissent se voir en dehors du tribunal. Je pense que le sport est un bon moyen. Je veux également axer mon mandat sur la formation. Pour continuer à faire rayonner le barreau, il faut peut-être mieux expliquer qui on est. La communication est importante. Il faut essayer d’être encore plus moderne. Nous étions présents sur les réseaux sociaux et j’ai ouvert un compte Instagram car beaucoup de jeunes sont sur Instagram. Il faut être dans l’air du temps.
Et vous avez également votre émission…
Me Fontan-Faron : Nous avons créé une web TV, « Grâce au droit » (en partenariat avec Cannes Lérins TV et diffusée depuis novembre 2023). Le but est de démocratiser des problèmes juridiques pour le grand public, comme le divorce par consentement mutuel, les charges de copropriété... Nous avons fait 12 capsules à l’attention du public, à raison d’une par mois, pour leur permettre d’avoir plus facilement accès à certaines problématiques, à certains termes juridiques.
Me Gambini, quel bâtonnier serez-vous ?
- Me Gambini : Je veux être un bâtonnier dynamique, rassembleur, à l’écoute de tous les avocats du barreau de Grasse et disponible. J’attache beaucoup d’importance à la convivialité. Nous avons une particularité au barreau de Grasse, c’est que nous avons un territoire très étendu avec trois villes phares dans notre barreau, Grasse, Cannes et Antibes. C’est assez atypique car en général les barreaux sont concentrés sur une ville. Il faut que le bâtonnier puisse intervenir sur tout ce territoire, très vaste. Je pense notamment à beaucoup de confrères installés à Sophia Antipolis, qui n’ont pas forcément le réflexe de venir au palais de justice.
L’intelligence artificielle prend de plus en plus de place dans tous les métiers. Vous la voyez plus comme une menace ou comme une opportunité pour votre profession ?
Me Gambini : L’intelligence artificielle ne doit pas effrayer. Les avocats doivent s’interroger sur sa valeur ajoutée. Mais c’est à l’avocat de conseiller utilement le justiciable parce que l’avocat pose les bonnes questions. Peut-être que le justiciable peut mal formuler sa requête (pour le prompt). Cela peut être un danger. Et il y a des problèmes de déontologie, de secret professionnel.
– Me Fontan-Faron : Il y a une crainte mais c’est un outil qui nous est indispensable, notamment pour la recherche de jurisprudence. L’intelligence artificielle va trouver en une seconde ce que nous allons mettre une demi-heure à trouver en compulsant des recueils de jurisprudence. Il faut s’emparer de ce développement technique mais il faut rester prudent, parce qu’il ne faut pas que nous soyons asservis. Il faut que nous ayons toujours la main, ne pas abolir le côté humain de la justice, qui à mon sens est primordial.
Que représentait pour vous Robert Badinter ? *
– Me Gambini : Le jour de l’annonce de son décès, j’ai adressé une circulaire à tous les avocats du barreau de Grasse dans laquelle j’ai écrit que « les robes de tous les avocats de France (étaient) plus noires que d’habitude. Elles portent toutes le deuil car elles viennent d’apprendre la disparition de Maître Robert Badinter. Ceux qui ont eu la chance de le côtoyer professionnellement seront unanimes pour saluer le talent, la vivacité d’esprit, l’art oratoire et l’élégance de ce prodigieux confrère. Ceux qui n’ont pas eu cette chance reconnaîtront souvent avoir voulu être avocat de par le panache qu’il donnait à son exercice professionnel. En ce jour de deuil, le barreau de Grasse, avec un immense respect, ne peut que remercier Maître Robert Badinter de nous avoir défendus, de nous avoir aimés et, surtout, de nous avoir fait rêver ».
– Me Fontan-Faron : Il a porté des batailles incroyables, notamment contre la peine de mort, avec une telle ferveur et un tel engagement. On a du mal aujourd’hui à trouver des personnages aussi forts. C’est une grande perte, pour la profession et pour la société également.
Propos recueillis par Sébastien GUINÉ
* Voir également l’article des réactions de personnalités locales après la disparition de l’ancien avocat et garde des Sceaux.