Christian Estrosi : (...)

Christian Estrosi : « Je ne veux pas que ce procès déplace la responsabilité »

Près de six heures d’audition. Le maire de Nice, 1er adjoint chargé de la sécurité au moment de l’attentat du 14 juillet 2016, a défendu ses agents et assuré avoir fait tout son possible en fonction des moyens alors à sa disposition, devant la cour d’assises spécialement composée de Paris, jeudi 20 octobre. Il s’est d’abord exprimé à partir de notes, pendant environ une heure, sur le rôle de la police municipale, l’articulation avec la police nationale, l’emploi de la vidéoprotection et la préparation du 14 juillet.

Il a notamment expliqué que 42 policiers municipaux avaient été mobilisés dans le cadre du dispositif de sécurité, pour la gestion de la circulation, et qu’il avait décidé d’en mobiliser 34 supplémentaires en dehors du périmètre défini. M. Estrosi, vêtu d’une chemise blanche, d’un costume et d’une cravate noirs, a ajouté qu’aucune menace particulière n’avait été portée à sa connaissance. Au sujet des nombreux repérages réalisés par l’auteur des faits, Mohamed Lahouaiej-Boulhel, au volant de son camion, le maire de Nice a assuré qu’ils ne pouvaient pas « être détectés à l’œil humain  », car il y avait 1 836 caméras et 30 écrans au centre de supervision urbain. «  Ces passages n’ont pu être analysés comme repérages qu’après l’attentat  », a-t-il indiqué, ajoutant qu’il «  faudrait de l’intelligence artificielle » mais que «  la réglementation ne le permet pas  ». Il a ensuite livré « le témoignage de (son) propre vécu cette nuit-là  ».
Après sa déposition spontanée, au cours de laquelle il a également évoqué ses souvenirs d’enfance sur la Promenade des Anglais et dit partager la douleur des victimes et de leurs familles, le maire de Nice a été interrogé par le président de la cour. « Vous êtes ici comme témoin. On n’est pas là pour rechercher une quelconque responsabilité » dans les faits reprochés aux accusés mais pour «  éclairer, dans la mesure du possible, le parcours meurtrier du responsable de l’attentat », avait indiqué Laurent Raviot en préambule. « Ne pensez-vous pas qu’il ait pu manquer quelque chose dans la vigilance des pouvoirs publics ?  », a-t-il demandé, en référence au « risque particulier d’un attentat à la voiture bélier  ». « On peut toujours tout dire a posteriori. On pourrait décliner beaucoup de choses. Nous n’avons plus la même doctrine aujourd’hui pour les grands événements  », a répondu Christian Estrosi.

Le président a insisté : «  Comment se fait-il que ce risque n’ait pas été examiné en amont ? Je ne peux pas m’empêcher de vous poser cette question. Mon rôle aujourd’hui est d’essayer de comprendre l’enchaînement qui va permettre à un individu de profiter d’une opportunité pour provoquer une tuerie de masse ».

« Une part de responsabilité ? »

Le maire et président de la Métropole Nice Côte d’Azur a alors expliqué qu’il s’agissait d’une « artère de grande circulation », qu’il n’était « pas possible de la fermer en totalité », s’agissant d’une voie de dérivation de l’autoroute. « Dans les réunions tenues en préfecture, il est décidé de faire le périmètre dit ouvert à partir du boulevard Gambetta jusqu’au quai des États-Unis  » et « il a été considéré qu’il fallait laisser un passage pour les véhicules de secours », a-t-il continué, confirmant les propos de l’ancien ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve à cette même barre le 10 octobre.
M. Estrosi a ensuite répondu avec plus ou moins de précision aux questions de l’avocate de parties civiles et de l’association Promenade des anges, Me Virginie Le Roy. L’élu a affirmé qu’il n’y avait pas eu de plots de béton disposés pendant l’Euro-2016 de football, photos à l’appui. L’avocate s’est, elle, appuyée sur un article de presse, non communiqué au préalable, pour dire le contraire. Après une interruption de séance de quelques minutes, le président a accepté la mention de cet article mais a fait une mise au point : «  Il faut s’en tenir aux éléments qui concernent notre procès. On peut poser des questions mais on n’est pas là pour instruire le procès en responsabilité de la Ville de Nice  ».

Au cours de sa très longue audition, Christian Estrosi a rappelé que la vidéoprotection, objet de débats depuis le début du procès, avait permis de retracer le parcours du camion et de constater la préméditation. M. Estrosi a confié avoir appliqué à la lettre les consignes des services de l’État, rappelant que la sécurité est « une compétence régalienne de l’État  ». Il a ajouté qu’il n’avait pas su avant combien de policiers nationaux allaient être mobilisés pour l’événement et que le risque d’attaque à la voiture bélier n’avait pas été évoqué. « En tant qu’homme, en votre âme et conscience, est-ce que vous vous sentez une part de responsabilité dans ce drame ?  », lui a demandé Me Olivia Chalus Penochet, avocate de parties civiles. Il a répondu qu’il se sentait responsable de tout ce qu’il avait à faire pour les Niçoises et les Niçois depuis l’attentat mais qu’il ne se sentait pas responsable du drame. «  Je ne me sens pas responsable de Daesh, de l’État islamique » et de ceux qui doivent être jugés par la cour. « Je ne veux pas que ce procès déplace la responsabilité ».

« Outrée  »

Les propos de l’édile niçois n’ont pas convaincu tout le monde. Ni parmi les avocats de parties civiles à Paris ni parmi les parties civiles présentes dans la salle de retransmission à Nice. L’une d’elles a même fait part de sa colère lors de la suspension de l’audience. « Je suis outrée de son comportement. Qu’il ait la correction vis-à-vis des parties civiles, des gens qui sont partis, des familles qui sont en deuil, de dire qu’il y a eu une défaillance. Il a répondu à côté des questions que lui a posées le président », a assuré Nadège. « Il a fait réveiller en moi une colère ensevelie. Je ne m’attendais pas à ce qu’il dise la vérité. La vérité sortira à un moment donné, c’est certain ».
Mickaël, également partie civile dans ce procès, a trouvé que Christian Estrosi n’avait « pas tort, dans le fond ». « C’est facile de parler de beaucoup de choses après l’attentat. Avant l’attentat, ce n’est pas évident de tout savoir. Je pense que c’est plutôt l’État qui est en cause dans cette histoire, plutôt que la police municipale. Ils réglementent la circulation, pas forcément la sécurité parce qu’ils ne sont pas armés comme il le faudrait  », a-t-il poursuivi. « J’étais souvent venu à Nice pour l’Euro-2016. Il y avait une sécurité très importante, au niveau des compagnies de CRS et de la police nationale. Il y a eu une grosse erreur au niveau de l’État. Ils ont lâché après l’Euro parce qu’ils pensaient que tout allait rentrer dans l’ordre ».
Me Virginie Le Roy, qui lui a posé de nombreuses questions, n’a pas été satisfaite par les réponses de l’ancien adjoint à la sécurité. « On a un témoin, puisqu’il était cité en qualité de témoin, qui, alors qu’il avait annoncé qu’il répondrait à toute question, s’est soigneusement défilé à chacune d’entre elles », a-t-elle assuré au micro de France Bleu Azur. «  J’attendais un peu de transparence, des clés de compréhension », a-t-elle regretté. «  Il y a toute une chaîne de responsabilité qui mérite d’être décortiquée  », a poursuivi Me Le Roy, espérant que se tiendrait un autre procès, sur la sécurisation des lieux le soir de l’attentat. Pour l’instant, l’enquête est toujours en cours.

Appelé à témoigner à la barre après Christian Estrosi, le député Philippe Pradal, maire de Nice au moment des faits, a reconnu, « une défaillance  ». «  Dire que tout a fonctionné serait une insulte » faite aux victimes et à leurs familles. « Était-elle évitable ? Collectivement, les acteurs ont estimé qu’ils avaient apporté les réponses adéquates. Aujourd’hui, avec le recul, une organisation différente aurait pu ou aurait dû être envisagée », a-t-il ajouté. Me Le Roy l’a remercié pour avoir reconnu que tout n’avait pas fonctionné ce soir-là.

Photo de Une : Christian Estrosi le 14 juillet 2022, se recueillant devant le "mémorial des nages", aux côtés du Préfet Bernard Gonzalez lors de la cérémonie d’hommage aux victimes ©Ville de Nice

deconnecte