Dans la prison de Grasse, une organisation digne d’une grande entreprise
- Par Sébastien Guiné --
- le 1er mars 2024
Environ soixante détenus travaillent dans le secteur de la production au sein de la maison d’arrêt grassoise et douze à la maintenance. Il y a une liste d’attente, de deux à trois mois, pour obtenir un travail.
"Une bouffée d’oxygène"
Tout le monde l’appelle « Ben » ou « Benji ». Benjamin est l’un des deux surveillants des ateliers, en poste depuis six ans. Il connaît bien les motivations des détenus : « Ils veulent travailler pour pouvoir sortir de leur cellule, pour avoir de l’argent, pour eux ou leur famille, et pour avoir des remises de peine ». La réinsertion n’apparaît pas dans les priorités. Pourtant le surveillant est convaincu que « le travail est un très gros moteur de réinsertion ». Les ateliers de la maison d’arrêt de Grasse sont divisés en trois grands secteurs : la formation, la production et la maintenance. Les locaux de production ressemblent à n’importe quel local de production de n’importe quelle entreprise. En mettant bien entendu de côté les imposantes grilles de séparation et les grillages et verrous devant chaque espace de rangement pour les outils. Les détenus mettent de l’huile d’olive en bouteilles, s’occupent du conditionnement de crèmes et de parfums ou confectionnent des articles de pêche. Il appartient à la société GEPSA, dans le cadre d’un marché de gestion déléguée, de trouver les entreprises qui fourniront du travail aux détenus (avantage : le coût du travail est moins onéreux pour elles). « Le travail en prison est quelque chose qui entre dans les possibilités des entreprises, ce n’est plus trop tabou. Mais ce n’est pas spécialement mis en avant non plus », confie Marion Auboeuf, responsable de site pour GEPSA. Hervé, responsable du travail à la maison d’arrêt de Grasse, confirme qu’il n’y a « pas beaucoup d’entreprises qui le mettent en avant ». Il assure gérer toutes les activités « comme un chef d’entreprise » et voit les détenus « comme des salariés ». « Je ne cherche pas à savoir ce qu’ils ont fait ». « Pour les détenus, on sent la différence entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas », souligne Marion Auboeuf. François Gilliot, responsable administratif et financier de la prison, avance que « le fait d’avoir une activité c’est une grosse bouffée d’oxygène ».
« Six contrôles »
L’autre possibilité de travailler dans les ateliers de la prison est de s’occuper de la maintenance des bâtiments (s’ajoutent à la maintenance la cantine ou la buanderie) : un robinet cassé, un évier bouché, un éclairage défectueux, un mur à repeindre... Les détenus amenés à intervenir peuvent alors quitter les ateliers avec une caisse à outils, non sans une étroite surveillance. « Il y a six contrôles au total à chaque fois qu’un détenu part avec une caisse en intervention. Mais on veut aussi les responsabiliser. On leur dit : vous êtes responsables de vos outils », précise « Benji ».
La directrice de la maison d’arrêt de Grasse, Claire Doucet, reconnaît que le travail en prison « a beaucoup changé », avec aujourd’hui des contrats de 30, 24 ou 18 heures, alors qu’avant « ils étaient payés à la pièce ». Elle explique que « certains travaillent pour la première fois en prison ». Elle a été particulièrement marquée par un détenu qui un jour lui a dit : « J’ai 44 ans et il a fallu que j’attende jusque-là pour comprendre mes parents quand ils disaient : ah, on est vendredi, la semaine est terminée… ». Mais les prisonniers qui travaillent « ne sont pas tous investis. Certains ont l’habitude de l’argent facile dehors ». Et il y a ceux qui restent « en marge du travail, même en prison », ajoute la directrice.
Que font-ils de l’argent gagné en prison ? Selon leur poste (formation, maintenance ou production), ils peuvent être payés de 220 à 450 euros. « Jusqu’à 200 euros c’est pour eux », explique Claire Doucet. Ils le dépensent surtout en tabac (« Presque tout le monde fume en prison », assure-t-elle), pour téléphoner, commander des repas ou acheter des produits d’hygiène. Au-delà de 200 euros, il y a des prélèvements, pour les victimes ou pour eux. « C’est une forme d’épargne obligatoire ». Avec la réforme du garde des Sceaux, les détenus cotisent également pour la retraite, la santé et le chômage. Si le travail en prison est une aide précieuse pour ensuite les aider à se réinsérer, la partie est loin d’être gagnée. « Benji » sait qu’une fois sortis « certains vont manquer de repères, de cadre ». « Quand ils sortent, le problème ce sont les fréquentations, les réseaux », analyse Claire Doucet. Avant d’ajouter, avec toute son expertise et son vécu : « Il faut parfois tomber plusieurs fois pour arriver à se relever totalement ».