La conférence nationale

La conférence nationale des procureurs de la République s’inquiète de la limitation de l’accès aux données de téléphonie seulement en cas de "criminalité grave"

Le conseil d’administration de la conférence nationale des procureurs de la République publie un communiqué suite aux arrêts de la Cour de cassation relatifs aux données de connexion pour la lutte contre la délinquance.

Le 12 juillet 2022, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts tirant les conséquences en droit interne d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 mars 2021 se prononçant sur les conditions dans lesquelles une règlementation nationale peut autoriser l’accès aux données de téléphonie (géolocalisation, fadettes, SMS notamment) dans le cadre des enquêtes pénales.
La Cour de cassation a confirmé que le procureur de la République, parce qu’il est une autorité de poursuite, ne peut pas être compétent pour ordonner de telles mesures d’investigation attentatoires à la vie privée.
La Cour constate donc que les réquisitions - du parquet ou des enquêteurs - visant les données issues de la téléphonie sont contraires au droit de l’Union européenne et doivent désormais être autorisées au préalable par une juridiction ou par une autorité administrative indépendante, ce que la loi française n’organise pas.

Si la Cour de cassation précise que les réquisitions visant les données de téléphonie sont en principe prohibées dans les enquêtes clôturées, comme dans les enquêtes à venir dans lesquelles de telles données viendraient à être obtenues au mépris des prescriptions européennes, le juge conseille cependant la possibilité de valider les actes de procédure, au cas par cas, selon le contexte particulier du dossier qu’il appartient à ce seul magistrat d’apprécier.

En outre, la Cour de cassation précise que même le juge ou l’autorité administrative indépendante n’a la possibilité d’autoriser de telles investigations que dans le périmètre de la "criminalité grave", notion qu’elle ne définit pas et qui n’obéit à aucune définition dans le droit pénal français.

La conférence nationale des procureurs de la République ne peut que dresser le constat de l’insécurité juridique majeure à laquelle doit faire face la lutte contre toutes les formes de délinquance et souhaite également, avec solennité, souligner la gravité de la situation.

La téléphonie est en effet un facteur central dans l’élucidation des affaires, un outil d’enquête tout autant à décharge, pour apporter la preuve de l’innocence (en établissant par exemple qu’un mis en cause se trouvait éloigné du lieu de commission des faits}, qu’à charge, pour confondre un auteur (dont il est souvent nécessaire de retracer le parcours pendant la période de commission de l’infraction). Cette technique d’enquête est utilisée
quotidiennement par les parquets et les services enquêteurs dans leur lutte contre toutes les formes de délinquance.

L’impossibilité dans laquelle se trouvent désormais les parquets et les services de police et de gendarmerie de recourir à ces investigations, en dehors du périmètre de la« criminalité grave », ainsi que l’absence de définition objective de cette même notion, constituent des obstacles majeurs à l’identification des délinquants et des criminels.

En plus, à supposer promulguée une loi nouvelle qui ouvrirait la voie d’un contrôle préalable des réquisitions de téléphonie par le juge, le volume de procédures susceptibles d’être concernées est tel que, pour répondre au
besoin d’autorisation d’une masse considérable de réquisitions pratiquées annuellement en la matière, il faudrait déployer une part notable des juges aujourd’hui en juridiction dont tout le monde s’accorde à reconnaitre
qu’ils ne sont d’ores et déjà pas en effectifs suffisants pour faire face à leurs attributions actuelles.

Pour employer une métaphore qui parle à tous, les magistrats du parquet et les enquêteurs se trouvent désormais dans la situation du médecin à qui l’on demande de lutter contre des maladies de plus en plus sophistiquées et dangereuses ; et qui ne peut plus utiliser de scanner pour les diagnostiquer et les traiter.
Les magistrats du ministère public dans leur ensemble ne peuvent que se conformer aux décisions de justice qu’elles émanent d’une juridiction européenne ou nationale, qu’ils se doivent d’appliquer loyalement dans la lettre et l’esprit, ainsi que l’exige leur serment de magistrat et l’Etat de droit.

Il est toutefois du devoir de la conférence nationale des procureurs de la République d’appeler l’attention de tous les concitoyens sur les conséquences de décisions qui ont une incidence directe sur la capacité des magistrats du
ministère public et des enquêteurs à exercer, dans une part importante des enquêtes pénales, leurs missions fondamentales de manifestation de la vérité et de protection des victimes.

Elle entend également souligner, au nom des procureurs de la République, que les magistrats du ministère public accomplissent au quotidien un contrôle de nécessité et de proportionnalité sur les actes d’investigation, tant des atteintes à la liberté qu’a la vie privée, depuis maintenant plus de cinquante ans, dans le strict respect de la mission de gardien des libertés individuelles que leur confie la Constitution, qui les conduit régulièrement à refuser d’autoriser certains actes ou à préférer une audition libre à la garde a vue, sans que les français ou la Représentation nationale n’aient souhaité faite de l’impartialité et de la pondération des procureurs de la République, au cours de ces longues années d’exercice, un sujet d’inquiétude méritant un débat public.

Enfin après des années d’adaptation des magistrats du parquet et des enquêteurs pour absorber les multiples réformes et Jurisprudences successives françaises et européennes ; la conférence nationale des procureurs de la
République souhaite que soit approfondie et tranchée, de manière pérenne et cohérente, dès que possible la question de la compatibilité du système juridique pénal français actuel avec le droit européen.

Visuel de Une : illustration DR

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