Mobilisation justice (...)

Mobilisation justice : DISCOURS DE ROLAND RODRIGUEZ, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreaux de GRASSE

À Grasse, les professionnels du Droit et de très nombreux élus se sont fortement mobilisés ce jeudi matin pour protester contre la réforme territoriale des juridictions. Ci dessous le discours engagé du Bâtonnier de Grasse Roland Rodriguez.

Le Barreau de GRASSE est le 15ème Barreau de France
Il compte 640 Avocats répartis sur l’ensemble du ressort judiciaire du
tribunal de Grande lnstance de GRASSE (entre Théoule sur Mer et Saint Laurent du Var)

DISCOURS DE ROLAND RODRIGUEZ, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreaux de GRASSE - Jeudi 15 février 2018

Mesdames et Messieurs les Magistrats, Mesdames et Messieurs les Greffiers, Madame et Messieurs les Batonniers, Mesdames et Messieurs,

Les Avocats du Barreau de GRASSE sont contraints de se mobiliser aujourd’hui dans l’urgence pour dénoncer les aspects les plus néfastes du Projet mené par Madame le Garde des Sceaux et intitulé « Chantiers de la Justice ».

Nous dénonçons tout d’abord la méthode utilisée.

Cette méthode démontre la volonté évidente des Pouvoirs Publics de faire passer à marche forcée une réforme sans réelle concertation avec l’ensemble des acteurs de justice.

5 Rapports ont été dévoilés le 15 janvier dernier.
Ils abordent l’ensemble des domaines de la Justice, tant civile que pénale et posent des propositions de modifications structurelles et fonctionnelles qui modifieraient considérablement notre système Judiciaire.

L’avant-projet de loi est annoncé pour les jours à venir avec comme objectif une présentation en Conseil des Ministres à la mi mars.
Ce calendrier démontre que la période de concertation n’est qu’un leurre et qu’en dehors d’arbitrages à la marge, l’essentiel des textes est prêt à être soumis au processus législatif.
Dès lors nous n’entendons pas participer plus longtemps à cette mascarade de concertation.

Au prétexte de « recentrer le juge sur ses missions essentielles le projet envisage toute une série de déjudiciarisations.

Il apparait que si ce projet était validé en l’état, l’accès au juge serait de facto restreint quand il ne serait tout simplement pas supprimé.
Ces déiudiciarisations interviendraient dans des domaines qui ne sont pas simplement administratifs et qui touchent aux droits fondamentaux du justiciable, tel que le droit de la propriété. On priverait par exemple le
justiciable de l’accès à une procédure judiciaire digne de ce nom en matière de saisie immobilière pour véritablement privatiser te processus.

Sous prétexte de rendre l’organisation judiciaire plus lisible, le projet envisage la départementalisation des juridictions de Première instance.

En clair, il n’existerait plus qu’un seul Tribunal de Grande Instance par département. Les autres Tribunaux de Grande instance deviendraient soit des Tribunaux dit « de proximité », soit des Tribunaux de Grande Instance de seconde zone, hiérarchiquement soumis à la coordination du Tribunal départemental.
Cette vision est archaïque. Elle se fonde sur un découpage vieux de plus de 2 siècles qui ne prend pas en considération la réalité actuelle tant démographique qu’économique.
Cette vision, en réalité, méprise les territoires et leurs spécificités.
Ce projet se fonde sur une approche bureaucratique et comptable de l’organisation judiciaire.
Il n’a pour but que de centraliser et vider les lieux de justice de leur
substance.
Si un tel projet aboutissait, le Tribunal de Grande lnstance de GRASSE deviendrait une sous-juridiction du Tribunal de NICE.
Pour les Avocats du Barreau de GRASSE, c’est inenvisageable
inacceptable et intolérable.

Notre arrondissement judiciaire compte plus d’habitants que l’arrondissement Judiciaire de NICE. En dehors de la spécificité frontalière du ressort de NICE, les juridictions de NICE et de GRASSE ont une activité similaire, un nombre de magistrats du siège et du parquet
équivalent.
Les Avocats du Barreau de GRASSE refusent que le Tribunal de Grande Instance de GRASSE, dont l’activité le classe en 15ème position sur les 160 Tribunaux de Grande Instance, ne soit administrativement dégradé et placé sous la tutelle du Tribunal de Grande Instance de NICE.

Ne voyez pas dans mon propos une quelconque défiance à l’égard de nos voisins niçois.
Je ne suis simplement pas dupe : une telle hiérarchisation ne serait que
le prélude à un démantèlement du maillage judiciaire sur l’arrondissement de GRASSE, préjudiciable aux justiciables qui ont le droit fondamental à une justice de qualité et de proximité sur un territoire spécifique et dynamique.

Le projet « Chantiers de la Justice » n’hésite pas à affirmer que la communication électronique sera une « nouvelle forme de proximité ».
C’est faire fi de l’humain, c’est faire fi du justiciable qui doit rester au coeur de nos préoccupations.
On doit pouvoir aisément rencontrer son Avocat et son Juge. La proximité géographique est un facteur essentiel en la matière.

Ne nous trompons pas : si un mouvement de centralisation des juridictions se met en place, ce n’est pas que le maillage judiciaire qui sera bouleversé. C’est aussi le maillage des Professionnels de justice qui sera impacté : ils migreront près de nouveaux centres juridictionnels. À terme c’est la création de véritables déserts judiciaires qui se profilent, au péril des plus démunis.

La réforme envisagée construit une justice à deux vitesses. les chantiers de la Justice ne semblent avoir pour autre but que de gérer le stock et le flux des dossiers.
Il ne s’agit pas de rendre mieux la justice.
Il ne s’agit pas de rendre plus rapidement la justice.
Il s’agit en fait de la rendre moins.

Le projet tel que dessiné dans les rapports, élude en réalité la question centrale des moyens alloués à la Justice.
Est évoqué du bout des lèvres une augmentation budgétaire annuelle de 5% soit 600 millions d’euros.
Ce montant est tout simplement ridicule à côté des 2 à 3 milliards d’euros annuels que couteriat la réinstauration d’un service militaire national.
En politique tout est question de priorités.

C’est d’un véritable PLAN MARSHALL de la Justice dont notre pays a besoin.

La France fait partie de pays européens les plus mal notés en termes de moyens donnés au système Judiciaire : 22 sur 28 pour la part de budget consacré à la Justice, 24ème sur 28 pour le nombre de magistrats par
habitants.
La Francey consacre 70 euros par an et par habitants quand l’Allemagne
en dépense 150.
Madame la Garde des Sceaux consulte nous dit-on. Elle demande à chacun parait-il, quelle est sa ligne rouge.
L’autonomie et le maintien de la pleine compétence du Tribunal de Grande Instance est notre pré-requis.
Nous exigeons que la question des moyens alloués au système judiciaire
soit mis au coeur du projet.

Nous exigeons que l’intérêt du justiciable et de l’humain passe avant la question de la gestion des flux et des stocks.

Les Avocats du Barreau de GRASSE attendent maintenant que Madame le Garde des Sceaux mette cartes sur table.
Nous devons à présent connaître ses intentions réelles et nous exigeons que le calendrier soit revu pour avoir des délais raisonnables de discuter les propositions qui seraient faites.

Aujourd’hui, nous ne faisons pas grève, nous ne bloquons pas le Palais nous ne bloquons pas le système.
Aujourd’hui, c’est en quelque sorte un avertissement sans frais que nous lançons à la Ministre.

À elle de l’entendre et d’en tirer les conséquences."

Très forte mobilisation ce matin à Grasse de tous les acteurs du Droit contre la réforme dite des "Chantiers de la justice" (DR CH)

Photo de Une : le Bâtonnier de Grasse Roland Rodriguez et le Maire Jérome Viaud ont prononcé à tour de rôle des discours engagés. (Photo DR CH)

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