La quête des valeurs-refug

La quête des valeurs-refuge

Un signal probable de la « fuite devant la monnaie » : ceux qui en ont beaucoup la bazardent en achetant très cher des ressources minérales et d’énormes espaces fonciers. Et ils plébiscitent les immeubles parisiens, dont le prix dépasse désormais ses sommets d’avant-crise. Sans parler de l’or, dont rien ne vient ralentir l’ascension…

Lorsqu’une crise ne cesse de s’étirer sans laisser entrevoir le bout du tunnel, chacun se demande comment protéger ses propres intérêts face à des risques perçus comme probables, mais difficiles à identifier. Les plus riches étant ordinairement les plus habiles à sentir le vent, ou à s’offrir des conseillers inspirés, il paraît opportun de se demander où va l’argent. On disait autrefois : « Si un banquier saute par la fenêtre, suivez-le ». Mais les banquiers ne s’envolent plus. Non parce que les banques sont immunisées contre la faillite, mais par le fait que les banquiers eux-mêmes n’existent plus : il n’y a plus que des employés de banque, dont certains assument la direction. Ce n’est pas leur capital personnel qui est en jeu. Et lorsque des titres leur sont attribués par le biais des stock-options, ils s’empressent de les vendre si l’opération est bénéficiaire. Le métier est devenu une véritable sinécure : il consiste à spéculer (c’est-à-dire à initier des paris hasardeux) avec l’argent des actionnaires et des clients. Si le pari réussit, ils engrangent des bonus astronomiques ; s’il échoue, le contribuable renfloue la maison. Et s’ils se font virer, ils peuvent sauter par la fenêtre, grâce à leur parachute… doré.

Mieux donc vaut zapper la finance virtuelle et s’intéresser à l’emploi que les grands investisseurs font de leur cash. On a déjà abordé dans ces colonnes la frénésie acheteuse sur le secteur des matières premières, notamment minérales. Pourtant, les perspectives économiques ne sont pas à ce point florissantes qu’il faille anticiper un surcroît de la demande. Du reste l’OCDE, dans sa récente communication, revient brutalement sur ses prévisions antérieures en divisant par deux ses attentes de croissance, aux Etats-Unis et en Europe. Quand ces pythonisses avoueront-ils qu’ils sont tout justes capables de déterminer la température du moment ? A force de souffler le chaud et le froid à trois mois d’intervalle, ils ridiculisent la confiance imprudemment accordée à leurs modèles économétriques. Les grands investisseurs, qui laissent les économistes à leurs vaticinations erratiques, achètent donc en masse des ressources naturelles, plus ou moins rares, à des prix anormalement élevés face au rendement immédiat. Le motif le plus plausible, c’est qu’ils cherchent à se défausser de leur cash, témoignant ainsi d’une défiance accrue à l’égard des monnaies. De toutes les monnaies, même si le franc suisse fait aujourd’hui l’objet d’attentions qui dépassent son vrai pouvoir de séduction.

Des valeurs durables

L’autre facteur qui plaide en faveur de craintes aiguës sur l’avenir des monnaies réside dans les transactions foncières. Le phénomène n’est pas nouveau : certains Etats, sous-équipés en terres agricoles, cherchent depuis longtemps à acquérir (ou à faire acquérir) des terres à l’étranger, dans le but de garantir la sécurité alimentaire de leur populations. Mais le phénomène s’est singulièrement accéléré, au point que la Banque mondiale propose d’assortir les transactions sur les terres arables d’un « code de bonne conduite ». Dans le langage feutré de l’institution, cet appel à la raison sonne comme un cri d’alarme : dans les pays pauvres où d’énormes transactions ont lieu, les droits des populations locales sont souvent oubliés, ainsi que leur propre sécurité alimentaire. En prêchant pour des investissements « responsables », la Banque mondiale reconnaît implicitement que les opérations réalisées ne le sont pas vraiment, et que cela peut déboucher sur des drames sociaux en des lieux qui ne sont déjà pas favorisés. Là aussi, même si les terres ne se traitent pas aux mêmes conditions que dans les pays occidentaux, le niveau des prix s’est nettement accru – en phase avec la spéculation sur les produits agricoles.

Ressources minérales, foncier agricole : des valeurs sûres. Ne manque plus que l’immobilier pour parfaire le tableau. Dans notre pays, prix et transactions sont en nette régression sur tout le territoire – ou presque. Avec une exception de taille à Paris, selon le Président de la Chambre des notaires : le prix moyen au mètre carré vient de dépasser le sommet atteint avant le déclenchement de la crise. La moyenne, à Paris intra-muros, se situe désormais à 6 680 euros le mètre carré – autour de 10 000 euros dans les arrondissements les plus prisés. Et le marché est déséquilibré, faute d’un nombre suffisant de vendeurs. On se doute qu’à ce prix, peu nombreux sont les candidats susceptibles de financer l’acquisition par les revenus du travail, même avec des taux de crédit faibles. Et ceux qui habitent déjà la ville savent que si « Paris restera toujours Paris », le confort au quotidien ne cesse de s’y dégrader, rendant encore plus absurde le prix des immeubles. C’est sans doute que pour leur grande majorité, les acheteurs ne sont pas Parisiens. Ce sont des investisseurs qui brûlent leur cash en acceptant de surpayer un bien sur le critère de la rareté, plutôt que de conserver leur argent. Cerise sur le gâteau : les cours de l’or sont à leur plus haut historique, et n’ont pas vraiment régressé lorsque les « signaux de la reprise » ont été célébrés en Bourse. Il ne manquerait plus que les banques centrales décident de déstocker du métal, comme le firent les Etats-Unis au début des années 70. Juste avant l’envolée des cours…

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