L'analyse prédictive (…)

L’analyse prédictive au cœur des mutations du droit des assurances

L’essor de l’intelligence artificielle prédictive en matière assurantielle constitue aujourd’hui une illustration pragmatique de la gouvernance par les nombres, en substituant à l’appréhension juridique de l’aléa une gestion algorithmique anticipative du risque.


Par Shana Chemla,
Étudiante en Master 2 Juriste d’Affaires
Membre de l’Association Niçoise des Étudiants Juristes d’Affaires (ANEJA)
et membre de l’AFJE06
Publication proposée dans le cadre du Master 2 juriste d’Affaires à l’Université Nice Côte d’Azur - Cycle "Droit des assurances approfondi - La gestion du risque dans l’entreprise par le mécanisme d’assurance "


UN ENCADREMENT JURIDIQUE DE L’ANALYSE PRÉDICTIVE EN ASSURANCE

Face à l’automatisation des décisions assurantielles, le législateur a instauré des garde-fous :
 L’article 22 du RGPD consacre « le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé ».
 Le projet d’AI Act Européen, adopté en 2024, classe les systèmes d’IA utilisés pour l’évaluation et la tarification des risques parmi les « systèmes à haut risque », imposant des exigences, afin de garantir la sécurité et le respect des droits fondamentaux des assurés.

L’IA AU SERVICE D’UNE ASSURANCE PROACTIVE

L’assurance mobilise un modèle prédictif pour anticiper la survenance des risques.
Ce modèle vise à quantifier économiquement le risque, en se fondant sur la modélisation probabiliste de risques futurs, susceptibles de se réaliser, pour orienter notamment les décisions de tarification et de prévention. Le Rapport de l’EIOPA salue les effets bénéfiques de l’utilisation de l’ analyse prédictive dans la gestion des risques :
- La création de polices personnalisées  : L’assurance basée sur l’usage (UBI) en matière automobile ajuste les tarifs en fonction des données de conduite en temps réel.
- L’amélioration de l’évaluation des risques : Dans l’assurance des biens, sont intégrées des données géospatiales et climatiques pour évaluer les risques, prévoir les pertes potentielles, et ajuster les conditions de couverture.
 La modélisation des catastrophes naturelles  : anticipation de la trajectoire des ouragans pour permettre d’ajuster les primes et minimiser les pertes financières.

LES DÉRIVES POTENTIELLES DE LA GESTION ALGORITHMIQUE DU RISQUE ASSURANTIEL

 La protection des données personnelles  : L’exploitation massive de données, souvent sensibles, impose aux assureurs de garantir la sécurité, l’anonymat et le respect des droits des assurés afin de se conformer au RGPD.
 Le risque de biais et de discrimination  : la segmentation algorithmique des profils de risque peut engendrer des discriminations fondées sur des corrélations statistiques, ce qui est contraire à l’article L111-7 du Code des assurances qui interdit toute discrimination fondée sur des données protégées.
  La démutualisation des assurances : résultat de la personnalisation des primes fondée sur un calcul algorithmique du risque individuel. Le Rapport Intelligence artificielle, solidarité et assurance établit que l’IA doit maintenir la solidarité entre les assurés, et non “démutualiser” les risques.
- La perte de l’aléa : En anticipant artificiellement la réalisation du risque, l’IA tend à affaiblir l’imprévisibilité pourtant constitutive du contrat d’assurance. Or, « l’assurance suppose l’existence d’un aléa ; sans aléa, il n’y a plus d’assurance  » Jean BIGOT.
 La déshumanisation du contrat : l’usage de l’IA dans l’évaluation des litiges et des indemnisations favorise une approche quantitative standardisée, au détriment de l’individualisation du préjudice et de la dimension humaine du contentieux.

Visuel de Une : illustration ©DR